L’Exil de Montherlant au Théâtre Mouffetard

« Le malheur de la France me réveille la nuit, confiait Henry de Montherlant. Aimer son pays est un état qui ne se connaît que par la douleur ». Il est toujours bon de rappeler cette phrase, citée d’ailleurs dans la préface complémentaire que Philippe de Saint Robert donna à l’intégrale du Théâtre de Montherlant quand celle-ci parue en Pléiade, en 1972, au lendemain de sa mort. La relire  alors que le théâtre Mouffetard donne à voir la première pièce de celui qui exalta avec subtilité et ferveur autant de mysticisme, de nihilisme et de stoïcisme dans tout son théâtre, favorise un éclairage sensible sur la pensée de Montherlant, lequel cultivait le détachement avec grâce.

Pièce en trois actes, écrite pendant l’hiver 1914 à 18 ans, trois ans avant son propre engagement dans la guerre, elle fut suivie, rappelons-le, par son chef d’œuvre, Port–Royal, seulement en 1940. Mais déjà avec L’Exil, au titre magnifique, qui ne sera publiée qu’en 1929, on sentait toute l’empreinte d’un style flamboyant, d’une langue classique et d’un climat particulier où l’esprit anti-conformiste de l’auteur s’affirmait avec grandeur. Sans oublier ce parfum de causticité que l’on retrouvera jusque dans son Don Juan et que Philippe Tesson fait mine d’oublier dans une récente critique parue dans Le Figaro magazine. « Il n’en est pas moins vrai que cette plume de marbre rend artificiel tout ce qu’elle touche », ose t-il écrire, alors que l’écriture de Montherlant est tout le contraire. Il faut lire autant que voir chaque pièce de celui qui se faisait une certaine idée du théâtre, pour mieux comprendre le jeu délicieux qu’il entretenait avec la langue française.

Nous sommes en août 1914, deux amis de collège de 18 et 19 ans, Philippe de Presles et Bernard Sénac, disputent une partie d’échecs tandis que l’un d’entre eux, Bernard, apprend par un coup de fil que sa « classe » est appelée à partir sur le front. Geneviève de Presle, la mère de Philippe (jouée par Marie-Hélène Viau, admirable comédienne qui s’est frottée à Claude Santelli), directrice d’un hôpital auxiliaire, refuse alors de laisser partir Philippe, son fils, qui pourtant veut partager l’exaltation de son camarade, heureux de pourvoir vivre une aventure que tous deux pensent être un prolongement de leurs jeux de collèges. Voilà l’enjeu de cette pièce grave et légère en même temps. Pièce autant sur l’amitié que sur la défaite de l’amitié, sur « le rapport désastreux et fusionnel entre une mère possessive et son fils unique », comme le souligne Idriss, metteur en scène scrupuleux, fin connaisseur de Labiche et de Courteline, et qui avait déjà monté L’Exil aux côtés de Jean-Lux Jeener pour son intégrale au théâtre du Nord-Ouest.

« L’exil, toujours l’exil ! »

Plusieurs temps forts ponctuent la pièce comme le face à face entre les deux amis, réunis dans le même espoir de combattre ensemble (« Songe donc, ça va être du collège en grand, et c’est juste ce qui nous manquait », s’exclame Philippe), ou alors la fameuse scène VIII de l’acte II où l’on assiste au revirement de la mère qui justifie sans doute le titre de la pièce. Les tirades de Philippe – du tragique racinien – amplifient la tension entre la mère et le fils : « On m’a exilé de ma patrie profonde. Alors je la déchire ». Et celle-ci, qui annonce La Ville dont le prince est un enfant : « Mais non, l’exil, toujours l’exil ! Hier, au collège, je me mêlais, et c’est pourquoi j’y ai été si heureux. Et puis le collège qui m’exile, pour je ne sais quelle bêtise, quand j’avais fait de lui ma chose et mon amour. Et puis la guerre, et exilé de la guerre. Et demain, comme aujourd’hui, exilé de tout ce pour quoi je suis fait, tantôt par ma faute, à cause de ce que je suis, tantôt par la faute des autres ». Jusqu’à l’excès, jusqu’à la déchirure, Philippe de Presle affiche un comportement de romantique qui ne vit qu’à travers l’amitié qu’il porte à Sénac. La fin de L’Exil est admirable. Du Montherlant pur jus. Le mot juste, la vérité des cœurs purs.

Et un jeu splendide à travers ce Christophe Poulain, formé au Conservatoire de Paris, qui entre Musset et Shakespeare, ajoute avec Montherlant, un des auteurs les mieux fait pour sa trempe de tragédien. La vraie révélation de cette éblouissante mise en scène.

L’Exil, pièce en trois actes d’Henry de Montherlant.
Mise en scène d’Idriss. Avec Christophe Poulain, Marie-Hélène Viau, Boris Ravaine…
Théâtre Mouffetard (01 43 31 11 99).


www.theatremouffetard.com

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