Prix d’automne : la grande braderie

/><b><span/C’est bien connu, les mois d’octobre à décembre sont les plus longs et les plus ennuyeux de l’année. Les feuilles des arbres n’en finissent pas de tomber sur les trottoirs, les jours de raccourcir, le froid et la pluie de s’installer, la morosité de nous gagner.

En quelque sorte, c’est la période idéale pour vendre les surplus de livres qu’on n’a pas réussi à écouler à la rentrée, et pour ce faire on a imaginé les prix littéraires d’automne.

Comment fonctionne un jury littéraire ?
L’automne est un peu la période des soldes dans le monde des livres, sauf qu’on ne casse pas les prix, on les distribue.

Pour ce faire, on rassemble des intellectuels en jurys afin qu’ils élisent le meilleur livre qu’ils ont lu depuis la rentrée. Parfois, il arrive que certains n’aient pas eu le temps de lire tous les livres de la rentrée, ou qu’ils aient préféré relire des classiques parce que, les romans contemporains, ils aiment bien quand ils publient mais un peu moins quand ce sont les autres… Fort heureusement on arrive toujours à convaincre les récalcitrants de rentrer sur le droit chemin en plaçant judicieusement un roman sous leur nez et en leur conseillant vivement de le lire. Après on les fait voter. Ce qui est bien avec les jurys littéraires c’est qu’ils ressemblent un peu à l’assemblée nationale : il peut y avoir plusieurs tours pour voter au cas où quelqu’un se serait trompé sur ses intentions.

Parfois aussi dans les jurys, il y en a qui ne connaissent pas bien le monde des livres et il leur prend l’envie de voter pour un auteur presque pas connu qui est édité par un tout-petit. Heureusement, leurs copains parviennent généralement à les ramener sur le droit chemin.

Des prix pour tous !
D’autres fois, il y en a qui ne sont pas satisfaits, qui trouvent qu’il n’y a pas assez de prix littéraires pour tout le monde ou qu’ils ne sont pas également distribués, alors ils créent un nouveau prix pour que tous les écrivains français en aient un. C’est normal, l’égalité en France ça compte.

En France, on a beau avoir autant de prix littéraires que de fromages, comme disent nos confrères de Chronic’art, ça ne nous empêche pas d’aimer les autres fromages et d’en importer constamment de nouveaux. Il en faut pour tous les goûts et ce n’est pas parce que certains vieux réfractaires continuent d’aimer le Roquefort qu’on ne peut pas vendre aussi du Gouda.

Subséquemment, la liste des prix littéraires s’étire toujours un peu plus et on a parfois peur de ne pas tous les connaître. Passer à côté d’un prix littéraire, c’est le cauchemar du critique. Il se réveille la nuit en hurlant « qui a eu le Renaudot en 2006 ? » Alors il se concentre et récite une nouvelle fois sa liste, et ça l’apaise un peu. Parfois il reçoit une dépêche pour un prix attribué à un auteur qu’il n’a pas lu et il se retrouve de nouveau face à un gouffre métaphysique qu’il ne sait comment combler. Heureusement, certains jurys littéraires connaissent le même problème et attribuent sans prendre garde leurs prix à des livres déjà primés. Ce n’est pas très égalitaire mais ça simplifie la tâche.

Du coup certains livres reçoivent trois, quatre, cinq, parfois jusqu’à sept ou huit prix d’un coup et on se dit que ce livre doit vraiment être très bien. Et c’est au tour de l’éditeur de faire des cauchemars. Il ne sait plus où donner de la tête parce qu’il ne peut pas mettre cinq ou sept rubans rouges autour de son livre pour signaler tous les prix reçus. Il choisit généralement le plus prestigieux, c’est-à-dire celui qui fera vendre le plus d’exemplaires, parce que dans le monde des livres aussi on aime le marketing. Le bandeau rouge autour du livre, c’est un peu comme une A.O.C. pour un fromage, comme la traçabilité sur une viande, ça permet au consommateur de s’y retrouver.

/><b><span/Tout en haut de l’échelle des prix, il y a le Nobel.
Avoir un Nobel de littérature, c’est un peu comme gagner une médaille d’or aux jeux olympiques, on récolte beaucoup d’argent en même temps que le prix et on sait que pendant quelques semaines les projecteurs du monde entier seront braqués sur soi parce qu’on a été désigné par les suédois héritiers de l’heureux inventeur de la dynamite. C’est en général une très bonne affaire pour l’éditeur qui en profite pour faire traduire les livres du nobelisé dans toutes les langues (ou presque) et les vendre à quelques centaines de milliers d’exemplaires. L’an passé, J-M G. Le Clézio a reçu le Nobel de littérature. Maintenant tout le monde sait qui il est.

Un peu au-dessous, il y a le Goncourt et tous ses avatars (Goncourt du premier roman, Goncourt des lycéens, Goncourt de la poésie, Goncourt de la nouvelle, Goncourt de la biographie) qui déchaîne les passions dans tout Saint-Germain-des-Prés et parfois jusque dans le quartier Saint-Michel. Cette année encore on a bien frissonné entre les partisans de Beigbeder (chez Grasset) et ceux de Marie NDiaye (chez Gallimard). On pronostiquait depuis l’été : Beigbeder ? NDiaye ? NDiaye ? Beigbeder ? Le suspens était devenu vraiment insupportable depuis quelques semaines. Finalement c’est Marie NDiaye qui l’a emporté et tout le monde a applaudi (sauf nous ; cf notre article). Frédéric Beigbeder n’était pas content, il a dit « vous l’avez déjà eu l’an dernier (il voulait parler de l’éditeur, ndlr). On lui a répondu : « c’était plus diplomate de le donner à une femme ». Il a répondu « Bof ! » Alors comme il était triste on lui a donné le Renaudot, ce qui n’est pas si mal, même si c’est un peu moins vendeur qu’un Goncourt et il a quand même dit qu’il était ravi. Le Goncourt, c’est un peu le Camembert des livres. C’est le plus connu et le plus apprécié.

Il y a une dizaine d’années encore, il y avait un prix Novembre qui voulait aussi concurrencer le Goncourt.
Pour se démarquer, Pierre Bergé a décidé d’en faire le prix Décembre et qu’il serait plus intello que le Goncourt qui avait une réputation trop populo. Il a formé un jury impartial et alternatif : lui-même, Beigbeder, Garcin ou encore Sollers. Que des gens impartiaux. Parfois, Sollers décerne le prix à un ami qu’il a lui-même édité mais comme ça n’arrive pas tous les ans, ça va.

Du côté des classiques, il y a le prix de l’Académie française. Le monde germanopratin et les branchouilles des inrocks le snobent un peu parce qu’il récompense souvent des écrivains qui écrivent du français comme dans les livres. Enfin, ceux d’avant. Cette année c’est Pierre Michon qui l’a eu et nous, on est contents (cf. notre article).

Un peu au-dessous (dans l’échelle des ventes, encore que…), il y a le prix Médicis qui est censé être un des prix les plus exigeants. Il est très couru par le tout-Paris littéraire et son but est de récompenser un auteur qui ne serait pas évalué à sa juste mesure. Un peu à l’instar du prix de Flore.
Le prix Femina, lui, est attribué par un jury de femmes, comme son nom l’indique et c’est ainsi qu’il justifie son existence.Le prix Interallié est réservé aux journalistes qui écrivent des livres, ce qui est très original et puis, c’est bien connu, les journalistes n’ont aucune influence sur le monde des livres. L’inconvénient de celui-là, c’est qu’il ne rapporte pas d’argent.

Pour les rebelles, il y aussi le prix Sade dans le jury duquel on compte les héritiers du divin marquis : Frédéric Beigbeder, Catherine Millet, Marcela Iacub, Catherine Robbe-Grillet…

Mais en France on a aussi le prix Wepler, le prix Jean Giono, le prix Prince de Monaco, le prix Kafka, le prix Carrefour, le prix Fnac, des dizaines de prix remis par les médias … et des centaines d’autres que je ne connais pas, j’en fais encore des cauchemars. Heureusement, des sites Internet tentent de les répertorier tous. Mais même eux n’y arrivent plus, les bases de données explosent.

Du coup, je me dis que je devrais peut-être arrêter d’y penser.

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