Être, c’est aimer

/Être est aimer. Le titre est beau, le contenu, plus encore; le projet, grandiose.

André Cantin, membre de la Fraternité Monastique de Jérusalem, est homme de science et homme de foi : agrégé de philosophie, docteur d’Etat, directeur de recherche émérite au CNRS, il s’est imposé comme l’un des meilleurs médiévistes et, en particulier, comme le grand connaisseur de Pierre Damien (107-1072), auquel il a consacré une superbe biographie (Saint Pierre Damien, 1007-1072, autrefois-aujourd’hui, Paris, Le Cerf, 2006).
Être est aimer ressemble à une interrogation métaphysique, une marche conceptuelle et une démarche intérieure, une construction harmonieuse et édifiante, à la manière d’une cathédrale gothique.

André Cantin est architecte, à la manière des maîtres d’œuvre du XIIIe siècle, et de saint Thomas d’Aquin. Comme ce dernier, il bâtit un immense édifice composé de plusieurs pièces (deux titres publiés à ce jour ; tome 1, Partir en philosophie, 2009 et tome 2, La Condition humaine, 2010) dont l’ensemble, soyons-en certains, aboutira à une œuvre d’une harmonie profonde.
A l’instar des penseurs scolastiques, l’auteur entend dépasser les limites inhérentes aux sciences humaines actuelles pour avancer sur un chemin d’unité de l’humain que seule la philosophie permet d’entrevoir.
Or, si l’être humain peut expliquer les lois de l’univers, dont la beauté devient pour lui source de contemplation, c’est qu’au-delà du réel, théorisé par l’intelligence et expérimenté par les sens, existe un « surréel » (Bernard d’Espagnat), invisible mais vrai, peut-être davantage que notre humble condition. « L’homme passe infiniment l’homme » écrivait Blaise Pascal.

Or, selon l’auteur, une philosophie authentique – celle qui élève l’homme – ne saurait faire l’impasse de la culture biblique. Pourquoi ? La Révélation judéo-chrétienne exprime une « relation », une présence et un dialogue (une « alliance ») entre Dieu, éternel et immuable en son essence et l’être humain, fini et vulnérable. Cette relation est d’ordre ontologique : le passage du divin à l’humain, de l’éternel au mortel, de l’invisible au visible.

Elle est relation d’amour. C’est de quoi toute entreprise philosophique constructive devrait être enrichie : dans l’évangile, Dieu s’est fait le « Très-bas » (Christian Bobin). A ce sujet, A. Cantin, revisitant trois siècles d’idéalisme avec un sens critique hors du commun, écrit des pages superbes : « A aucun moment de son expérience, un sujet ne peut exister hors d’une relation. Il n’y a pas de sujet pur, sans relation à un objet. […] ayant admis que le sujet pur n’existe pas, et que pour tout sujet la relation avec un objet est première et constante, nous avons devant nous cette autre question, concernant l’Être parfait : absolument un : peut-il ne pas être en lui-même relation ? La révélation judéo-chrétienne fait connaître la parfaite unité divine comme unité de Dieu avec son Verbe en un échange d’amour parfait » (Partir en philosophie, p. 101-102). La vérité philosophique de l’homme (et son bonheur) est inconcevable hors de la relation-don avec son Créateur : tel pourrait être le leitmotiv d’A. Cantin.

Face au « malaise dans la civilisation » comme le prophétisait Sigmund Freud (psychiatre incroyant), et le chaos de la philosophie, comme le chante Hubert-Félix Thiéfaine (chanteur iconoclaste), lisez et méditez cette œuvre-phare. Vous ne le regretterez pas. Vous en sortirez grandi et heureux.

André Cantin, Être est aimer, 2 tomes parus, Paris, Le Cerf, 2009-2010.  ISBN 978-2-204-08856-5 et 978-2-204-091153-4.

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