Sur la route de Kerouac

/La publication de Sur la route, roman mythique de Kerouac, est à peu près aussi rocambolesque que sa vie.

En témoignent les quatre préfaces à la publication du rouleau original qui tentent de nous éclairer sur la genèse du roman et les rebondissements innombrables qui ont précédé les différentes publications. Comme l’écrit Howard Cunnell, « il faudrait un livre entier pour rendre justice au travail d’écriture abattu par Kerouac entre 1948 et 1951 sur son deuxième roman. »

Ecrit en quelques mois sur des feuilles de papier A4 collées les unes aux autres pour former un rouleau qu’il aurait jeté dans le bureau de son éditeur en le déroulant comme la route, il aura pourtant fallu attendre un demi-siècle pour que cette version originale soit publiée telle quelle, c’est-à-dire en un seul paragraphe de 400 pages, sans même un saut à la ligne pour changer de partie et avec cette redondance à la première ligne qui colle très bien à l’ambiance du livre  :
« J’ai rencontré rencontré Neal pas très longtemps après la mort de mon père… ».

Allen Ginsberg, le poète désenchanté de la beat generation, qui, dans cette version originale réapparaît sous son vrai nom – de même que William Burroughs et Neal Cassady – l’avait prédit : « Quand tout le monde sera mort, le roman sera publié dans toute sa folie. »

Voilà qui est fait pour notre plus grand plaisir. Jamais cet immense roman de la route n’avait été publié dans toute sa force et sa puissance, Kerouac ayant été contraint de masquer les vrais noms, de couper certains passages censément choquants, jusqu’en 2007 pour la version anglaise et 2010 pour la française.

Et pourtant, cette histoire est bien celle de toute une génération. Celle qui chercha par tous les moyens, vitesse, ivresse, drogues, musique bop, par la pulse et le it à réenchanter un monde qui ne s’était sorti de la grande dépression que grâce à la seconde guerre mondiale. Kerouac, canadien francophone, originaire d’une vieille famille bretonne s’est attelé à la lourde tâche de traduire les espoirs et les désirs d’une jeunesse orpheline, perdue dans un vaste continent déchiré entre la pauvreté et la naissance d’un mouvement qui allait tout emporter dans sa vague. Une fois de plus, les esprits n’étaient pas préparés à accepter la réalité du monde et ce n’est que maintenant que ce monde est mort que nous pouvons enfin le lire.

Ce monde, c’est celui des beat que Kerouac, qui parlait le français avant l’anglais et était d’une famille catholique, traduisait par béat, en référence à la béatitude des anges, à une vision heureuse et spontanée des choses, dans un monde où tout semblait cynisme et calculs.

L’histoire de Sur la route est d’ailleurs celle de Neal Cassady, que Kerouac appelle parfois l’ange, un jeune homme survolté qui cherche son père, clodo alcoolique dans Denver et court après le temps et les femmes comme si tout lui échappait toujours, que tout ce qu’il touchait lui brûlait les doigts. Cassady, Kerouac le rencontre peu après la mort de son père et, bien que de cinq ans son cadet, c’est lui qu’il suivra sur toutes les routes d’Amérique, jusqu’à rentrer à quatre pattes de San Francisco à New York sans le moindre sou, trahi par ce père de substitution à qui il pardonnera pour une dernière virée hypnotique à travers tout le pays.

« La route, c’est la vie » écrit Kerouac ; c’est aussi la liberté, une liberté dont s’inspireront les générations suivantes au cours des années soixante et soixante-dix.

Sur la route est un des plus grands romans américains de la deuxième moitié du XXe siècle parce qu’il a été écrit avec les tripes et parce qu’il ne s’est pas embarrassé de remuer la vase de l’Amérique, mais aussi parce qu’il est plein de poésie, de fougue et de jeunesse. Parce qu’il jaillit comme la route goudronnée dans le silence fracassant des grandes plaines désertiques d’Amérique sous les étoiles immuables.

Jack Kerouac, Sur la route Le rouleau original, Gallimard, 505 pages, 24€.

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