Houellebecq malheureusement

/Le problème n’est pas vraiment qu’il s’agisse du plus mauvais roman de Houellebecq mais qu’il soit presque exclusivement question de lui dans cette rentrée littéraire, pour au final dire très peu de choses de son œuvre.

Moins d’un mois avant la parution de La carte et le territoire est paru un essai d’Aurélien Bellanger intitulé Houellebecq écrivain romantique, qui nous offre l’occasion de revenir sur toute l’œuvre de Houellebecq, ce qui nous a paru plus intéressant que de disserter sur un roman sans véritable intérêt qui sera quoi qu’on dise un succès commercial.

Une littérature sans désir

Ce qui indispose tout d’abord dans la littérature de Michel Houellebecq est sa vision intrinsèquement navrante et pathétique de l’être humain et du monde que nous habitons. A cet égard l’essai d’Aurélien Bellanger est très éclairant, provoquant l’effet strictement inverse de celui escompté ; à savoir que Houellebecq n’est pas un écrivain génial, simplement un homme intelligent, un peu névrotique et dépressif, une sorte de prestidigitateur qui parviendrait presque à nous faire croire que nous habitons le monde qu’il décrit alors que son champ de vision est extrêmement réduit et désorienté. Réduit à un type d’humain sans désir, poussé par nul appétit de vivre si ce n’est, chaque fois, l’envie de modifier l’essence de l’homme avec cette illusion récurrente chez Houellebecq qu’un monde meilleur façonné par l’humain est possible et que la science le promet.

La passion n’existe pas chez Houellebecq, elle ne tient aucune place dans ses romans, même l’amour, quand il survient, est immédiatement rationalisé, ramené à des considérations concrètes et matérielles, comme dévitalisé. Aurélien Bellanger l’a fort bien relevé : la métaphore n’existe pas dans les romans de Houellebecq.

Dans un essai récemment publié à la Musardine, intitulé Sexe et littérature aujourd’hui, Olivier Bessard-Banquy dresse l’état des lieux du sexe chez Houellebecq :
« Au lieu de saluer la décrispation de la société, l’ouverture des possibles, Houellebecq brode à l’infini sur la misère affective des pauvres types, sur la solitude des losers. Au lieu de donner des couleurs à la puissance du désir masculin, l’auteur de Plateforme ne cesse de décrire des coïts fatigués, des scènes de masturbation dépitée, des amours plates. Loin de réaffirmer l’importance de l’érotologie masculine, Houellebecq l’enterre en quelque sorte. Perpétuellement en échec du fait de leurs désirs épars ou étoilés, les hommes chez lui sont toujours mous, secs ou déshydratés. »

Avènement du romantisme

Houellebecq est de cette espèce d’hommes qui, parce que malheureux et sans espoir, se persuadent que l’homme doit être modifié par la technique (en l’occurrence la génétique). Pour lui, il n’y a rien d’autre à espérer de l’homme qu’il parvienne à muter et se recréer. C’est l’idée majeure des Particules élémentaires, de La possibilité d’une île et de Plateforme dans une moindre mesure ; dans son dernier roman il a renoncé à cette idée. C’est également un rêve sur lequel se sont construites les littératures d’anticipation et de science-fiction depuis plus d’un siècle. Le vieux fantasme selon lequel la science devrait pouvoir offrir le bonheur à l’humanité, selon lequel une poignée d’hommes devrait pouvoir modifier la face de la Terre. Un fantasme largement partagé au XIXe siècle et qui a débouché sur les dérives totalitaires du XXe.

En un sens Houellebecq est un écrivain romantique car le monde qu’il décrit est falsifié. Il plonge dans cette erreur romantique parfaitement mise au jour par René Girard qui consiste à croire en l’autonomie de son désir, à sa spontanéité, refusant d’accepter que ce qui crée le désir nous est extérieur et peut nous élever. Les personnages de Houellebecq vomissent continuellement leurs semblables sans s’apercevoir que leurs semblables sont agités par la même mécanique. Ils sont condamnés au malheur parce qu’incapables de trouver d’autres modèles que ceux de semblables aussi veules et mesquins. Ils sont incapables de s’élever au-dessus de leur misère, comme si la littérature n’avait rien à leur apprendre pour les aider à sortir d’eux-mêmes. Seules les femmes sont capables d’offrir un peu de joie aux hommes, principalement par la sexualité.

Aporie de la littérature

Dans les romans de Houellebecq, il n’y a aucune distanciation par rapport aux personnages et aux événements, rien qui puisse faire apparaître une vision critique, rien qui puisse laisser penser que Houellebecq ne s’identifie pas à ses personnages. Là est la grande faiblesse de son œuvre, de n’offrir aucune critique valable de quoi que ce soit, de ne permettre aucun recul. Les critiques de Houellebecq sont des jugements de valeur sans appel et sans argumentation (sur les Arabes, les Thaïs, les Blancs, les enfants…), des crachats dont tout porte à croire qu’ils sont dus à l’auteur autant qu’aux personnages. Ceux-ci du reste n’ont aucune dimension spirituelle, ne peuvent en aucun cas échapper à leur condition d’hommes modernes animés par les plus bas instincts, pétris de préjugés qui ne sont jamais remis en cause et prennent en conséquence valeur de lois universelles.

Dans les romans houellebecquiens il n’y a jamais de seconde chance, comme si la force vive des personnages n’était pas assez puissante pour qu’ils se relèvent. Quand un élément heureux survient, il ne dure jamais. Aucune confiance n’est possible en l’avenir. La seule possibilité pour l’homme de sortir de sa condition misérable serait de modifier son essence, c’est-à-dire de ne plus être humain.

En définitive Houellebecq ne croit pas en la littérature, pas plus qu’il ne croit en l’homme ou en un Dieu quelconque ; il croit aux statistiques, à l’économie, aux ouvrages scientifiques, à la sociologie, aux études sur les comportements de groupe, ce qui ne nous apprend rien de l’être humain. Rien de sa profondeur ni de ses désirs secrets, simplement des pulsions de masse. Il croit à toutes ces choses qui effacent l’individu au profit du nombre, donnant l’illusion à certains qu’ils peuvent diriger l’humanité comme un troupeau.

Son idéal semble être un monde sans désir, plat et atone, où les êtres ressembleraient à Michou, le chien stérile du commissaire Jasselin. « Le chien est une sorte d’enfant définitif, plus docile et plus doux, un enfant qui se serait immobilisé à l’âge de raison… »

Trois pages plus loin, il explique que « la sexualité lui apparaissait de plus en plus comme la manifestation la plus directe et la plus évidente du mal. » Ce monde sans désir, sans luttes, dépouillé de toute compétition, c’est-à-dire de tout élan vital est-il l’aboutissement de la pensée romantique comme semble le penser Aurélien Bellanger en s’appuyant sur Novalis ? C’est en tout cas l’erreur fondamentale du romantisme de croire que la compétition est induite par la société et non par la nature. L’erreur de Houellebecq est de désirer, poussé par un ressentiment extrême contre l’humanité, sinon qu’elle disparaisse – ce qui serait difficilement avouable bien que crédible (ses personnages principaux ne se reproduisent jamais) – au moins de la modifier, de la voir muter vers ce qu’il prend pour un âge de raison, une sorte de paradis terrestre et immédiat.Si l’Histoire nous a enseigné quelque chose, c’est de nous méfier de ce genre de descriptions erronées de la réalité – d’autant plus quand elles rencontrent des succès populaires.

Michel Houellebecq, La carte et le territoire, éditions de Noyelles, Flammarion, 428 pages
Aurélien Bellanger, Houellebecq écrivain romantique, éditions Léo Scheer, 295 pages
Olivier Bessard-Banquy, Sexe et littérature aujourd’hui, éditions de la Musardine, 230 pages

1 Comment

  1. Bonjour, je suis en train de lire les romans de Houellebecq… et fait exactement le même constat que vous. Je suis aterré par la légèreté avec laquelle Houellebecq évacue la théorie du désir mimétique. Son héro de la possibilité d’une île est à ce titre assez pathétique, il est incapable de comprendre son succès, il imagine qu’il n’est du qu’à des recettes mécaniques de l’humour. Il suffirait de lire le Rire de bergson pour devenir un humoriste célèbre !

    Dans une interview, Houellebecq s’étonne de désirer une voiture « comme les autres » mais il ne va pas plus loin.. dans une autre http://www.surlering.com/article/article.php/article/entretien-houellebecq
    il prétend ceci « Marin de Virys – Mais sur la violence, on a l’impression que vous avez une théorie que vous n’avez pas sur la bonté. Dans la Possibilité d’une île, vous mettez en scène une humanité qui a achevé son cycle de violence, dans des termes qui font penser à la théorie mimétique de René Girard…

    Michel Houellebecq – Je connais René Girard surtout pour une thèse, que je trouve fausse, et qui s’énonce ainsi : on désire ce que l’autre désire. Pour moi, c’est plus simple que ça : on désire ce qui est désirable. Un corps de jeune fille, c’est désirable en soi. J’observe d’ailleurs une relative invariabilité du corps désirable, malgré ce qu’on dit sur le sujet. Le 90-60-90 reste l’universel moteur du désir masculin. » Quelle platitude, quelle dérision sans profondeur !

    Comme si toutes les filles ayant de telles mensurations étaient désirées et surtout désirées plus d’une nuit !

    Pourtant, dans la Possibilité d’une île le héro désire Esther non pour sa beauté plastique comme il le prétend mais parce que le héro l’imagine dans d’autres bras, sans en avoir la preuve, donc Houellebecq valide inconsciemment la théorie mimétique de rené girard sans jamais l’admettre…

    Je crains pourtant que nous glissions plus vite dans le monde totalitaire de Houellebecq, huxley que dans un monde spiritualité renouvellée à laquelle invite l’oeuvre de Girad.

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