Vénus Noire d’Abdellatif Kéchiche ou L’Altérité Nue

/Vénus Noire d’Abdellatif Kéchiche, c’est l’Altérité mise à nue.
Bien que la faculté d’oubli soit nécessaire, la collectivité tend trop souvent à cerner d’ombre des épisodes peu glorieux de son histoire. Le cinéma, comme d’ailleurs la littérature peuvent pallier à ces carences. L’art en effet, autorise parfois cette confrontation avec des étapes sombres, rendues si lointaines à mesure du temps.

Or, cette collision entre un regard longtemps demeuré aveugle et la vérité d’un passé enfin exhumé s’avère douloureuse. Car la rencontre avec ce parcours chaotique bouleverse. Mais, le film ne s‘arrête pas à la contemplation du terrible: il interroge.
Saartje Baartman (Yahima Torres), femme africaine, arrivée à Londres en 1810, va vite devenir un « objet » de curiosité. Réifiée (au sens sartrien), reléguée au statut de « bête de foire », elle amuse le public britannique en sortant d’un cage et en rugissant tel un fauve féroce. L’assistance se délecte, l’enfer se répète inlassablement.

A Paris, la calvaire perdure. Chaperonnée par un dompteur d’ours sordide et pervers (Olivier Gourmet), elle continue de fasciner. Mais les publics diffèrent. Il ne s’agit plus des masses populaires londoniennes, mais des assistances aristocratiques des salons de la capitale. Militaires décorés, décideurs lubriques: les statuts sociaux changent mais la condition de la femme n’évolue pas.

Puis, Saartje, devenue Sarah après son baptême, va voir ses souffrances croître auprès d’un nouveau « public »: la communauté scientifique.
Réunis autour de Cuvier (François Marthouret), fameux père de l’anatomie comparée, les experts tentent de mettre à jour les spécificités de cette femme hottentote (nom de sa tribu d‘Afrique du Sud). Chaque parcelle, chaque détail de son enveloppe ne résiste au regard froid et tranchant des scientifiques.
Jusque dans la mort, cette femme aura été poursuivie par les regards assassins de ses contemporains. Des foires aux salles de cours du Musée de L’Homme en passant par les salons et la prostitution, elle n’aura trouvé aucun répit, aucun moment de repos, aucune possibilité de briser l’anathème déchaîné au-dessus de sa tête.

Rêveuse, elle désirait devenir comédienne. Du moins, elle voulait être reconnue à sa juste valeur. Comme une femme, humaine, pensante, douée de sentiments et pareille au reste de ses congénères.
Mais noyée par le désespoir, l’alcool et les mauvais traitements, elle ne rencontra jamais vraiment l’occasion de contrer la fatalité. Son sort, Kéchiche l’a peint tout en contrastes. Loin du manichéisme simpliste, et du moralisme dégoulinant des productions qui s’emparent de thématiques sensibles (racisme, intolérance…), le réalisateur souligne au contraire l’ambivalence et les contradictions du personnage.

Tantôt résistante, tantôt passive, elle demeure surtout dans l’incompréhension. Interdite la plupart du temps, Saartje se dévoile dans la pudeur, dans ce silence et son refus de céder aux autres l’avantage de sa vérité intérieure.

Peinture de visages et de corps, Vénus Noire, convie à regarder l’Autre. À la fois dans sa complexité, ses béances, ses talents et ses déficiences. Mais surtout pas comme ces foules seulement obnubilées par leur souci de divertissement ou d’avancée scientifique.
Découvrir l’altérité, rencontrer l’autre. En un mot : renouveler son œil, et ne plus commettre l’erreur de l’intolérance.

Guillaume Blacherois

Vénus Noire. Réalisé par Abdellatif Kéchiche. Avec: Yahima Torres, Olivier Gourmet, André Jacobs, François Marthouret…
Sortie nationale le 27 octobre 2010.

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