Le luxe sans culture n’est que ruine de l’esprit

/C’est au printemps que fut inaugurée en grande pompe à Prague l’une des plus grandes expositions des bijoux Cartier.
Après Saint-Pétersbourg, Paris, Pékin New York, ces joyaux de plus d’un siècle, se promènent dans les grands lieux du monde pour éblouir des centaines de milliers de visiteurs qui approchent ce qu’il ne pourront jamais posséder : fascination du luxe et éblouissement de l’esprit.

Savent-ils ces dizaines de milliers de Tchèques, devant ces milliards étalés, en se pressant autour des présentoirs, l’oreille collée aux écouteurs pour mieux comprendre les commentaires de telles splendeurs de plus de 397 pièces allant de l’épée de Jean Cocteau, du diadème de la duchesse de Windsor qu’elle ne portera jamais, jusqu’à la parure du Maharadjah et le bracelet qu’Yves Montand n’offrira pas à Marilyne Monroe, qu’il ne font que renouveler les gestes effectués il y a mille ans par les moines des Prémontrés, venus apporter à quelques milliers de kilomètres de leur abbaye, la quintessence de leur savoir agronomique et intellectuel, au cœur de cette vieille Europe, ballottée par tous les courants de l’Est et de l’Ouest et qui le prouvera par son histoire. C’est en effet dans ce même château aux portes de Prague où se situe cette exposition, qu’ils s’installèrent pour y faire rayonner leur culture.

J’ai personnellement découvert Prague en 1990 au lendemain de l’effondrement du mur de Berlin, ébloui pour la première fois par ce joyau serti dans l’écrin de cette rivière la Vltava, aussi belle que celles des pierres précieuses étalées aujourd’hui à quelques mètres dans les salles du château, cette rivière qui est la seule de ce plateau à ne pas se jeter dans le Danube mais dans l’Elbe pour rejoindre la mer du Nord, symbole de la réconciliation de ce pays entre les deux « Europe ». Mais ce jour-là de 1990, malgré les 30 statues illustres qui encadrent le pont, je suis resté longtemps seul contemplant inlassablement le paysage magique du fleuve qui couronne la ville.

Ce week-end d’octobre 2010, bousculé par des milliers de personnes, je n’ai même pas pu contempler les statues, assailli par les badauds et les marchands de toute sorte, et les portraitistes proposant leur service. Prague avec ses six millions de touristes par an a compris la manne financière que cela représentait. Elle a nettoyé ses rues et ses façades qui à l’époque portaient encore les traces de la misère soviétique.
Elle a multiplié ses capacités d’accueil et offre au monde sa leçon d’histoire toujours en avance sur son époque, comme au temps de Jean Hus, brûlé vif quarante ans avant Jeanne d’Arc, car il fut un siècle avant Luther, le précurseur de la Réforme qui allait transformer l’Europe, comme faillit le faire, vingt ans avant l’effondrement du mur de Berlin, le printemps de Prague.
Multipliant les concerts plus de deux chaque soir comme au temps de Mozart qui voulait créer dans cette ville qu’il adorait son Don Giovanni.

En contemplant quelques instants après une messe à l’église de Notre Dame du Tyn, j’interrogeai un jeune étudiant de Postdam venu en train avec comme seul bagage un carnet de notes et de croquis lui demandant ce qu’il était venu faire et je fus éberlué par cette réponse :
Je suis venu pour comprendre le monde. Savait-il en me faisant cette réponse que c’était la seule réponse que j’attendais, car il était à quelques mètres de l’endroit où se déclencha la guerre de Trente ans par la défenestration de Prague en 1618, guerre qui aboutit au traite de Westphalie dont l’historien japonais Fukuyama, professeur à l’université de Yale aux USA a dit qu’il avait marqué le monde pendant quatre siècles.

Seul, aux dires de cet historien, l’attentat du 11 septembre a pu mettre fin à cette influence : quatre siècles de l’histoire pour cette petite fenêtre qu’il contemplait et qui pour lui aussi avait été transformé par le courage de Gorbatchev. Savait-il, ce jeune étudiant qui lui aussi, en retrouvant ses racines avec de simples crayons et des aquarelles oubliant pour une fois la déculturation de l’ordinateur, il renouvelait les gestes de tous les étudiants du Moyen Age, de la Renaissance et du siècle des lumières pour lesquels un pèlerinage à Prague était indispensable.

Et le pauvre étudiant démuni, me parle aussi de l’éblouissement qu’il avait ressenti en parcourant à quelques mètres de là, la rue de Paris avec ses somptueuses vitrines des plus illustres enseignes de luxe du monde, qui se sont toutes regroupées là portant les noms prestigieux de Dior, Cartier, Vuitton, Prada, Gucci sans parler des boutiques plus accessibles qui se multiplient aux alentours aux noms moins prestigieux mais qui commencent à faire miroiter à cette jeunesse l’antichambre du luxe et qui ont pour nom Gap, Zara, H et M.

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