Remy de Gourmont, indécrottable épistolier des années 1900

/Quoi de plus instructif que de lire et de découvrir la correspondance d’un auteur, d’un jeune homme qui se métamorphose en écrivain et que l’on découvre de façon impudique, avouons-le, prendre forme sous nos yeux au fil des lettres ? Car Remy de Gourmont (1858-1915) a toujours su qu’il serait écrivain.

Le travail immense et fouillé de Vincent Gogibu permet à nous lecteur d’appréhender un chantier littéraire et poétique tout aussi vaste que sa propension à tenir un courrier journalier. Sa Correspondance avec les femmes qu’il a aimées – principalement Berthe de Courrière (la Sixtine) ou Natalie Clifford-Barney (l’Amazone) est  à mettre sur le même plan que la correspondance de Balzac avec Mme Hanska ou celle de Flaubert avec Louise Collet.  C’est admirable de délicatesse et de style, de trouvailles et d’ingénuité.

Ses missives (1 200 au total adressées à plus de 200 destinataires) témoignent en même temps de l’air du temps de cette époque joyeuse et capricieuse. Ces années 1900 ont un fumet de dilettantisme et d’amusement qui encourage le bon mot, l’esprit caustique et la légèreté insouciante.

Comme le note dans sa brillante introduction Vincent Gogibu : Remy de Gourmont  dans ces années 1900-1909 « devient l’écrivain majeur de son époque et un phare vers lequel on se tourne ». Le voilà qui se détache du symbolisme  pour être alors « la conscience critique d’une génération », dixit T. S. Eliot.
Il collabore au Mercure de France en se frottant à Alfred Valette, Rachilde et Léon Bloy. Il va se faire connaître par son fameux Livre des Masques, montrant clairement sa filiation, de Stéphane Mallarmé à Odilon Redon en passant, comme le souligne Vincent Gogibu, par Maurie Denis, Henry de Groux et Félix Vallotton.

Puis dès 1910, ce seront les querelles avec André Gide, la guerre qui éclate et son attachement viscéral à la gracieuse Nathalie qui lui fait voir la vie de façon lumineuse, remplie d’espérance. « On sait comment on aime, on ne sait jamais comment on est aimé », lui écrira t-il en février 1911.

/Du côté des sceptiques

Mais cette correspondance éclaire aussi le Gourmont si différent d’un Gide, du côté de l’art de la littérature et de la beauté. Lui se place résolument du côté « de l’esprit, de l’intelligence et de la quête de la vérité (que gênent parfois ses partis pris », explique Vincent Gogibu. Reste que Gourmont est un superbe styliste, qu’il joue avec la langue française, évoluant parfois vers une forme de scepticisme qui peut faire penser à Schopenhauer.
Adepte du héros valéryen, on ne sera pas surpris de lire sous sa plume cet élan du cœur : « Mon œuvre véritable sera celle-ci : un être né avec la complète paralysie de tous les sens, en lequel ne fonctionne que le cerveau et l’appareil nutritif ». (Sixtine, roman de la vie cérébrale, 1890).

Il faut lire ses lettres les plus brûlantes adressées à Natalie Clifford-Barney (que Jean Chalon avait su magistralement évoqué dans son Chère Natalie Barney, Flammarion), dès leur rencontre en 1910. L’auteur du délicieux Eparpillements éblouie « l’esthète blessé ». « Vous voir me donne une provision de bonheur et me rend la vie plus facile » ; « Il me semble que vous répandez un air nouveau autour de moi. », s’exclame t-il, au-delà de son enchantement quasi maladif.


Correspondance de Remy de Gourmont
Tome I (1867 – 1899), tome II (1900 – 1915)
Réunie, préfacée et annotée par Vincent Gogibu
Editions du Sandre, 39 € et 43 €.

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