Des Ballets Russes au Grand Meaulnes

/Il y a 100 ans, le 6 juin 1911, la 6ème Saison Russe de Diaghilev s’ouvrait au théâtre du Châtelet, par Carnaval, un ballet pantomime en un acte de Mikhaïl Fokine sur une musique de Robert Schumann orchestrée par Nicolas Rimsky-Korsakov. Anatole Liadov, Alexandre Glazounov, Nicolas Tcherepnine, sur un argument de Léon Bakst et Michel Fokine.
Pour commémorer ce centenaire, une exposition sera consacrée tout l’été à ces deux chefs-œuvres de la culture internationale dans le château de la Chapelle d’Angillon.

Cette brillante exposition met en parallèle, le ballet de Mikhaïl Fokine créé primitivement à Saint-Pétersbourg, et le roman d’Alain-Fournier, tout particulièrement les chapitres de« La Fête étrange » – écrit pour partie dans ce village.

L’ouvrage avait en fait été donné en première audition à Paris le 4 juin de l’année précédente à l’Opéra de Paris sous la direction de Gabriel Pierné, avec pour interprètes Vaslav Nijinsky et Tamara Karsavina. Il sera repris, toujours à l’Opéra, les 24 et 28 décembre 1911, avec Narcisse, Le Spectre de la Rose et Sadko, repris ensuite dans toute l’Europe et en Amérique du Nord.

Repris d’une soirée de bal masqué organisée à la salle  Pavlova à Saint-Pétersbourg, par des étudiants de l’Institut de Technologie, il avait été repris à Berlin le 20 mai 1910 et le 19 avril 1911 à Monte Carlo sous la direction de Nicolas Tchérepnine.
Si la création du Carnaval plut beaucoup à Berlin, à côté de Shéhérazade programmé dans la même soirée, il n’eut à Paris qu’un un succès d’estime vis-à-vis du public habitué aux grands ballets exotiques, mais elle eut un retentissement considérable dans la littérature française puisque la pantomime de Fokine fut pour une grande part dans l’inspiration d’un roman célèbre , Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier.

/Cette exposition évoquera également la grande révolution esthétique que furent les Ballets Russes, auxquels Jacques Rivière consacra des articles désormais réputés, mais aussi à leur héritage. Seront donc présentés des documents originaux ou des reproductions (dessins, lettres, livres, photographies, partitions, etc.) en mettant l’accent sur le carnaval et la commedia dell’arte dans la chorégraphie.
Elle rendra également hommage aux Ballets Russes et au Grand Meaulnes par des œuvres de peintures, dessins, lithographies, etc. d’artistes réputés, tels qu’ Alexandre Benois, Léon Bakst, Daniel Louradour, Jean Target, Tiriot, Roig Nadal, décédés, ou d’artistes contemporains comme Gueorgui Chichkine, Sofia Lakovietskaïa, Sergueï Chepik, Nadejda Anitchkova, Jean-Bernard Cahours d’Aspry, Stéphanie Barba, Nathalie Bréhal, Mireille Bailly-Coulanges, Roger Jouan, Marie-Joseph Devaux, Damien Hermellin etc. qui ont su si bien rendre vie a des personnalités d’hier par des moyens d’aujourd’hui.
L’exposition sera accompagnée d’animations : une conférence de Jean-Bernard Cahours d’Aspry, qui a également réalisé les décors de l’exposition, d’un récital de piano sur « Les musiques des Ballets Russes, de textes lus par la comédienne Nathalie Bréhal, etc.

Du Carnaval au  Grand Meaulnes

La première rencontre entre Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier et Le Carnaval de Fokine/Schumann avait eut lieu dans les premiers jours de juin 1910, quand Alain-Fournier avait découvert les Ballets Russes de Diaghilev en compagnie de sa sœur et de son ami Jacques Rivière devenu son beau-frère, en assistant à l’Opéra de Paris à l’une des toutes premières représentation du Carnaval de Fokine sur la musique de Schumann.

« On ne peut pas s’imaginer ce que les Russes peuvent faire avec la danse, écrivit Rivière à ses tantes. […].  C’est un spectacle à la fois d’une violence et d’un ordre inouïs. Quand on voit nos piteux ballets français où l’on s’embête à 20 francs de l’heure, on est honteux. Je tâcherai d’y retourner. » Le 3 juillet, Fournier écrivit à son tour à André Lhote, toute la joie qu’il avait eu de découvrir les spectacles de Diaghilev avec son ami Jacques Rivière. Son émotion avait dû être très forte puisqu’en septembre suivant, lors de ses vacances annuelles à La Chapelle d’Angillon, il se mit à la rédaction de son célèbre roman pour lequel depuis cinq ans il accumulait souvenirs, notes et brouillons. Cette fois il pouvait écrire à ses amis qu’il avait trouvé son « chemin de Damas. »

Accumulant souvenirs personnels, de famille ou témoignages, il avait jusqu’alors placé l’action de son roman à Epineuil-le-Fleuriel, dans le Berry du Sud qui avait été le pays de son enfance. Désormais en cette fin d’été 1910, il poursuivait son histoire en Sologne, à La Chapelle d’Angillon et Nançay où chaque année il revenait passer ses vacances de fin d’été.

Il en profitait selon Isabelle Rivière pour »visiter quelque château voisin […]L’année dernière, c’était La Varenne, somptueux chalet plûtot que château, et son immense pièce d’eau muette, où l’on croit voir glisser les barques blanches des fêtes que Robert [le cousin germain]  à mi-voix, dans le dos du gardien raconte …. »
/Les lecteurs du Grand Meaulnes reconnaîtront ici une partie du lieu de la « Fête  étrange » avec Loroy, « château, ferme ou abbaye » dans lequel il plaçait la mémorable soirée de bal costumé pour des enfants dansant la farandole en costume romantique dans ses couloirs, autour d’un clown blafard aux manches trop longues et un Arlequin.
Sans être véritablement un roman autobiographique, Le Grand Meaulnes qui retrace l’histoire d’Augustin Meaulnes, un grand jeune homme épris d’aventure, racontée par François Seurel, son ancien camarade de classe devenu son ami. Fournier lui-même déclarait d’ailleurs n’aimer « la merveille que lorsqu’elle est étroitement insérée dans la réalité.  Tout ce que je dis se passe quelque par, écrivit-il à l’un d’eux. »
Son livre est donc « un perpétuel va-et-vient  insensible du rêve à la réalité. »  Tous les lieux dont il parle dans son livre existent réellement, même si la réalité géographique est quelque peu bouleversée. Le Vieux Nançay du roman, c’est Nançais dans la réalité, le pays de l’Oncle Florentin chez qui la demoiselle Yvonne de Galais venait faire ses achats. La boutique est toujours visible dans le village, face à l’église.
Le clown aux manches trop longues et l’arlequin qu’il ajoute alors à sa fête étrange, sont sortis tout droit du ballet de Fokine. Il avouera d’ailleurs cette influence dans une lettre à Charles Péguy ,  en avouant à son ami, que son roman était teinté « d’un peu de volupté, de lanterne magique, de fantasmagorie, de Ballets Russes et d’aventure anglaise. »
Cette « fantasmagorie de Ballets Russes » se manifeste dans Le Grand Meaulnes  à travers « le grand Pierrot blafard aux manches trop longues, coiffé d’un bonnet noir et riant d’une bouche édentée » de « La Fête étrange », inspiré par le mime Alexis Boulgakov à la création. Dans le Grand Meaulnes comme dans la pantomime de Schumann, il courait à grandes enjambés maladroites, comme si, à chaque pas, il eut dû faire un saut, et il agitait ses longues manches vides. » Par ailleurs, les enfants de la « fête étrange » étaient comme dans le ballet, revêtus de costumes romantiques ; et  Il n’était pas jusqu’au décor du ballet, un simple ensemble de tentures vertes qui n’évoque la chambre verte, verte comme le tissu de la chambre verte du domaine mystérieux.
A la sortie du roman en 1913, un critique littéraire de La Gazette de Lausanne, Roger Cornaz, le fit remarquer à ses lecteurs : « Lisez Le Grand Meaulnes y affirmait-il,  c’est un peu comme l’apparition soudaine d’une fée au coin d’un bois ou dans une pauvre cabane ; son passage rapide change pour toujours l’aspect des choses et le goût de la vie.
« Et permettez-moi une dernière question qui vous paraîtra saugrenue : aimez-vous le ballet du Carnaval ? Avez-vous peut-être senti votre cœur se fondre devant la danse de ces petits pantins masqués et fardés, ironiques et tendres, qui pleurent pour rire ou souvent pour ne pas pleurer ? Alors lisez Le Grand Meaulnes. Il y a dans tout ce livre un peu du charme discret et passionné qui aime la musique de Schumann ; et je ne serais point surpris que ce soit dans ce rideau vert et les quatre petits fauteuils du Carnaval que M. Alain-Fournier ait eu la première vision de la Fête étrange. »

Le Grand Meaulnes à son tour, mise à part la profusion des essais qu’il suscita, a inspiré à Maurice Ravel l’idée qui avait été enthousiasmé par la lecture du roman envisagea une pièce pour violoncelle, rapporte Marcel Marnat.  En 1951, c’est le compositeur hollandais Rudolf George Escher  qui composa une œuvre symphonique, Hymne au Grand.
Juste retour des choses, Le Grand Meaulnes inspira Il a également inspiré un ballet :0, une chorégraphie de A. Howard, livret de Ronald Crichton, musique de Gabriel Fauré, conception de Fédorovitch dansé par le Ballet des Nations Unies Créée le 23 mai 1940 par la London Ballet au Théâtre des Arts, à Londres, avec Lloyd, du personnel, et Paltenghi.
J’ai évoqué tout cela dans un essai justement intitulé Du Carnaval des Ballets Russes au Grand Meaulnes d’Alain-Fournier.

Pratique :

Des Ballets Russes aux Grand Meaulnes
Une exposition présentée au
Château de la Chapelle d’Angillon -18380
Par Patrimoine et Renaissance, l’Association pour un Musée de la Danse,
Le Monde de l’Art et des Lettres
Sous le patronage du Comité Diaghilev

Du 25 juin au 2 octobre 2011
Cette exposition sera réalisée en partenariat entre le comte Jean d’Ogny, l’association Patrimoine et Renaissance, l’Association pour un Musée de la danse et Le Monde de l’Art et des Lettres, le Magazine du Bibliophile, le groupe Deshoulières (Manufacture Impériale de Porcelaine de St Pétersbourg) et le concours de collectionneurs.
Commissaires : Jocelyne Meunier et Jean-Bernard Cahours d’Aspry

http://.chateau-angillon.com
Tél : 02 48 73 41 10

Pour compléter ce pèlerinage culturel aux sources de deux chefs d’œuvres de la Culture occidental, vous pouvez accompagner l’un des commissaires de l’exposition, du 17 au 26 septembre 2011, dans un voyage à Saint-Pétersbourg, la ville de Diaghilev, Fokine, Nijinsky et Karsavina ; et  ses environs Tsarskoïé Sélo, Peterhovet Strelna). Il clôturera cette Saison russe à la Chapelle d’Angillon.
Renseignements : Le Monde de l’Art et des Lettres
Tél : 06 10 20 74 94 ou 06 15 78 32 05,
Programme disponible sur www.lemondedelartetdeslettres.com

Photos :

Hommage aux Ballets Russes de Diaghilev  par G. Chichkine
La Chapelle d’Angillon  par Cahours d’Aspry
Le Carnaval de Fokine, inspirateur du Grand Meaulnes

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