Antoine Blondin, le vagabond de la littérature

/À l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, les éditions de la Table Ronde nous offrent une très belle réédition de L’Humeur vagabonde et Un singe en hiver d’Antoine Blondin, deux de ses meilleurs romans, assortis d’une centaine de documents et de photographies de l’auteur.

Antoine Blondin demeure aussi célèbre pour ses chroniques sportives que pour sa vie de noctambule parisien et les cinq romans assez brefs dans lesquels il a mis toute son âme. Dans chacun de ses romans, le personnage principal, pour ne pas parler de héros, ce qui aurait assez peu de sens ici, dévoile une part de l’auteur. Jeunes hommes vivant en marge d’un monde qu’ils traversent sans vraiment y être, la distance qui les éloigne de leurs contemporains prend différentes formes : celle de l’ironie pour Gabriel Fouquet dans Un singe en hiver, celle de l’ingénuité pour Benoît Laborie dans L’Humeur vagabonde. Ce dernier, Rastignac avorté, qui quitte une femme et des enfants contractés un peu par hasard pendant la guerre afin de se rendre à Paris sans autres ambitions que celle que sa mère lui convoite et celle de changer d’air, va bientôt se retrouver au cœur d’un crime passionnel qui le dépasse.

Fouquet, à l’inverse, débarque de Paris dans une petite ville de province endormie, à la suite d’une cuite qui lui a fait prendre un train malgré lui. Ces deux personnages se rejoignent en ce qu’ils sont constamment ailleurs, à côté de leurs chaussures comme le dit Blondin et dépassés par les événements qu’ils causent à leur insu. L’un est le jouet d’une mère envahissante qui projette sur lui ses désirs inassouvis, l’autre de l’alcool et de rêves sans doute impossibles ; tous deux sont poussés dans la fuite par une mélancolie dont ils sont incapables de prendre toute la mesure, trop ingénus.

Mais si, comme le pensait Gide, « la mélancolie n’est que de la ferveur retombée », que le souvenir abusif dont on berce le présent, ravivant un passé en le colorant avec souvent plus d’éclat qu’il n’en eut, elle est l’essence de la littérature.

« À la réflexion, nous ne sommes pas comme ces peintres qui travaillent sur le motif. Il nous faut du recul, de la marge. Si je devais écrire un roman se passant à Naples, j’essayerais de préférence de me réfugier à Stockholm pour ne pas être accablé par le réalisme. La fantaisie, qui est de toute façon un décalage, me sauverait. Il faut écrire dans les marges. L’art ne copie pas la vie mais la transfigure. Si l’on continue d’avoir le nez dessus, on ne peut le faire » disait Blondin dans un entretien donné à France Culture. Baudelaire n’aurait pas dit autre chose, Proust non plus. L’écriture est une manière de ressusciter un temps nostalgique, un temps qui n’a peut-être jamais existé ailleurs que dans les rêves éveillés ou alcooliques, que dans les récits qui refaçonnent les histoires mais qui est celui de la littérature, libéré de la contingence du Temps et de l’Espace.

Un temps où l’on peut croire qu’ « un jour, nous prendrons des trains qui partent. »

À ce titre, Antoine Blondin est un grand écrivain.

Antoine Blondin, L’Humeur vagabonde, Un singe en hiver, 376 pages, la Table Ronde.

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