Et vous, qui dites-vous que je suis ?

Par Jacques de Guillebon*

Le nombre de spectacles s’attaquant à la figure du Christ se multiplient et heurtent profondément la sensibilité des chrétiens. Les pseudos artistes contemporains sont-ils à ce point en veine de création pour multiplier les provocations, toujours envers les mêmes, d’ailleurs ?
Libres-propos sur la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu (jouée  jusqu’à dimanche au Théâtre de la Ville puis au Centquatre, Paris 19e, du 2 au 6 novembre) et les manifestations d’opposition au spectacle par de jeunes chrétiens qui accusent le spectacle de « christianophobie ». Se tromperaient-ils de cibles ? Ne devraient-ils pas attaquer la vacuité et la lâcheté de ces provocations trop faciles autrement que par des manifestations ? Laisser ces « artistes » tout simplement là où ils sont : dans la m…!
CM

La parole est à Jacques de Guillebon.

/« En bas dans la fosse/ je vis des gens plongés dans des excréments/ qui semblaient venir de latrines humaines/ et pendant que des yeux j’examinais le fond/ j’en vis un dont la tête était si chargée de merde/ qu’on ne pouvait voir s’il était laïque ou bien clerc. »

Ce n’est pas Sade qui écrit cela dans l’un de ses délires rationnellement élaborés, mais c’est le Dante, qui donne ici bien entendu l’une de ses innombrables visions de l’enfer. C’est dire si le mal, de longtemps, a eu des rapports avec la merde et la défécation.

C’est dire si cette représentation est lointaine et classiquement admise. À Dante, on permet, le bon chrétien permet, avec le temps, de dire ça.
Que l’art contemporain ait des complaisances pour la merde que n’avait pas le poète du dolce stil novo, on l’admettra car c’est une évidence. Mais si l’art en est arrivé à cette extrémité-là, le chrétien conscient a le devoir de s’interroger profondément pour connaître la cause de cette aporie.

Le bon chrétien de 2011 doit d’abord se souvenir de tout ce que sa tradition a repoussé, a condamné, a nié, au nom des bonnes mœurs, du bon goût, des bonnes manières que son être bourgeois avait définis.

Gauguin a le droit maintenant d’exposer ses Christs jaunes : il y a cent vingt ans, vous l’en eussiez empêché. Oh, comme vous avez moqué les Nazaréens, les Préraphaélites, les symbolistes, les Nabis même, et l’abstraction. Oh, vous vous seriez bien contentés de chromos sulpiciens et de nymphéas impressionnistes. Car vous avez toujours voulu, surtout, que l’art ne raconte rien, n’exprime nulle attraction spirituelle ou religieuse. Parce que ça vous fait peur. Parce qu’il y a des églises pour ça : des églises dans lesquelles il y a des diables, des gargouilles, des cochons et des monstres effrayants.

Vous n’avez pas entendu Dada, et Hugo Ball a fini seul à écrire ses oeuvres mystiques.
Artaud, Bataille et Klossowski, vous les avez méprisés et rejetés dans les ténèbres extérieures. Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient pas de la famille et qu’ils rotaient à table, sans doute.
Mais je ne vous ai pas entendu pester, manifester et hurler quand c’étaient Daudet, Céline ou Rebatet qui se roulaient dans la coprophilie et qui parfois insultaient la face de Dieu. Non, ils étaient du clan, eux, ils avaient fait allégeance et on leur pardonnait. Tes aïeux ont lapidé les prophètes et aujourd’hui tu leur dresses des tombeaux.

Dans les églises, il y a des horreurs, des danses macabres, des Jérôme Bosch et des Greco. Mais pas dans votre théâtre : au théâtre, il vous faut du propret, de l’efficace et de l’évident. Même Claudel vous agace, surtout quand il est mis en scène par Olivier Py. Même Claudel, vous n’allez pas le voir.

Et ne prétendez pas qu’aujourd’hui vous allez manifester contre la merde : car en vérité, vous allez manifester contre la représentation du visage du Fils de Dieu. Du Fils de l’Homme. Qui est précisément le sujet de cette pièce que vous n’avez pas vue, mais contre laquelle vous vous êtes « mobilisés » seulement parce que vous aviez lu dans le titre qu’elle traitait de votre sujet réservé, et qu’on ne vous avait pas demandé la permission. Qu’on n’avait pas payé le copyright. Le faceright. Mais vous avez oublié que ni le Christ, ni son Visage, Sa si Sainte Face, n’appartiennent à qui que ce soit. Et que si l’Eglise est dépositaire de la foi, l’Esprit va où Il veut, et que les publicains, les prostituées et même les gens de théâtre vous précèdent dans le Royaume.

Le Visage du Christ, ce n’est pas ce Mandylion que les orientaux gardaient jalousement enfermé derrière leurs portes d’or, comme s’il s’agissait d’un objet magique. Ce n’est pas le Baphomet. C’est celui que la Samaritaine abreuve, celui qui a soif, celui que Véronique essuie, celui que le garde du Temple soufflette, celui sur qui les soldats romains crachent, celui qui a été souillé et que nous représentons précisément sous cette forme aux murs de nos églises, et parfois de nos maisons. Celui de la croisée des chemins : le Calvaire. Ce n’est pas le Pantocrator qui a forgé les rêves de nos jeunesses.
Ce n’est pas le Victorieux qui se tient au milieu de nous et que nous ne connaissons pas – car qui a vu Dieu ? Mais c’est celui de la Croix, et Celui qui même sur son Corps glorieux a gardé les stigmates.

Ah ! Parti de l’Ordre, génération à la nuque raide, sépulcre blanchi, que fera-t-on de toi ? As-tu oublié où Il est né, entre l’étron d’un âne et la bouse d’une vache ? As-tu oublié qui est le Serviteur souffrant ? As-tu oublié Ezékiel ? As-tu oublié Job sur son tas de fumier ? Non, tu te rappelles seulement Deutéronome 23, 13 : « Tu défèqueras hors du camp ».
Car il y a dans ta tête toujours le pur et l’impur, et tu les reconnais évidemment à l’odeur : tu sais qui est de ta race et qui n’en est pas. Mais as-tu oublié François nu à Assise, et le grand Benoît-Joseph Labre qui empuantissait tes églises ? A côté de lui, jamais tu ne te serais assis.

Le dernier mot de cette ère post-chrétienne est la merde : il faut s’y faire. Non s’y résigner, mais le savoir. Alors quand la merde est au moins jugée par le regard du Christ, et de quel Christ ! Un Christ italien pré-renaissant, un Christ de la plus belle époque, de la plus grande, de la plus profonde, il faut s’en réjouir.

Choisis une bonne fois pour toutes, mon frère, choisis : la rassurante société païenne de tes blockbusters à la fin desquels le bien triomphe ou l’homme déchu, solitaire, défait, notre contemporain, qui crie comme Job sur son fumier à la face de Dieu ?

Tu n’y échapperas pas.

*Jacques de Guillebon est journaliste et essayiste.  Il est l’auteur, entre autres, de Nous sommes les enfants de personne et Le nouvel ordre amoureux avec Falk van Gaver.

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