Ernest Biéler à la fondation Gianadda

/Léonard Gianadda n’est pas seulement un grand amateur d’art, voire un artiste qui s’ignore, comme en témoignent les photographies qu’il a faites dans sa jeunesse et qui furent exposées contre son gré à la fondation Pierre Gianadda.
Il les tenait pour peu de choses mais elles montrent le regard de l’être profondément sensible qu’il est.
Humble et altruiste, il n’a de cesse d’œuvrer à la reconnaissance d’artistes oubliés ou méconnus, de faire vivre la ville de Martigny en Suisse et de placer son énergie et la fortune qu’il façonne par son labeur au service des arts, non pour récolter une gloire qu’il tient pour peu de choses mais pour ce en quoi il croit : l’amitié, l’art, la connaissance.

Il est une personne profondément humaine, comme en témoigne cette fondation qui porte le nom de son frère trop tôt disparu ; comme en témoigne sa générosité qu’il a garde de clamer haut et fort. A l’inverse de nombreux de nos entrepreneurs richissimes qui voient en l’art contemporain un moyen de faire fructifier leur argent tout en soignant leur image, il travaille sans tapage à faire revivre des œuvres méconnues, loin des modes et des snobismes. Et cependant, la fondation attire un public de plus en plus large. La précédente exposition « Monet au musée Marmottan et dans les collections suisses » avait été la plus visitée de toute l’année 2011 en Suisse et, selon un journaliste du Dauphiné Libéré, les expositions de la fondation Gianadda sont un vrai phénomène de mode dans la région Rhône-Alpes limitrophe.

L’exposition que sa fondation présente jusqu’au 26 février prochain a été rendue possible grâce au concours du musée des Beaux-Arts de Berne qui la présenta avant la fondation Gianadda et qui fut rendue possible parce que Léonard Gianadda avait financé en partie la restauration de deux œuvres majeures du peintre suisse qui se trouvaient en fort mauvais état, à peu près tombées dans l’oubli, Les Feuilles mortes et Les Sources. Ces deux grands tableaux symbolistes qui datent respectivement de 1899 et 1900 sont les pièces majeures de l’exposition présente. Montrées lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, elles rapportèrent à Biéler une médaille d’argent et la nomination à l’ordre de chevalier de la Légion d’honneur.

/Ces deux toiles aussi représentatives d’un Symbolisme finissant que de l’Art nouveau sont d’une maîtrise technique indéniable, aux lignes pures et aux couleurs extrêmement poétiques. Biéler, qui fut un artiste précoce, doué d’une technique hors du commun qui lui permit à 22 ans seulement de peindre dans Courses à la Croix de Berny une chevauchée d’une parfaite précision, excelle autant dans la peinture de mouvement que dans celle des portraits ou de personnages statiques.
Bien que d’un symbolisme quelque peu suranné pour l’époque, Les Feuilles mortes et Les Sources sont sans aucun doute d’une adresse extraordinaire, Les Feuilles mortes notamment, tableau qui fut longtemps tenu dans le mépris, étant d’un très grand érotisme. Ces femmes à moitié dévoilées par le mouvement de leur danse qui se mêle à celui des feuilles mortes, au corps étiré, à la peau blanche, fragile, délicate, aux lignes parfaites, aux mouvements emplis de désir, aux tétons pointés de manière symétrique aux bras qui s’élancent, rose orangés comme la tunique qui enveloppe la jeune fille du centre à la chevelure fauve, les couleurs vives, orange, marron, vert, celles de l’automne sont belles comme un rêve, colorées et ciselées comme un poème de Verlaine.

La raison pour laquelle Biéler a longtemps été mis au ban de l’histoire de l’art est qu’il s’est acharné toute sa vie à faire du Biéler, c’est-à-dire la peinture qu’il aimait, entremêlant toiles officielles et compositions folkloriques ou symbolistes, toujours parfaitement figuratives ce qui, à l’époque de toutes les avant-gardes, ne pouvait que le mettre à l’écart des projecteurs.

Il faut pourtant reconnaître la prouesse technique de ses premières œuvres, inspirées de Manet, Degas et même Courbet dont le fameux Enterrement à Ornans ne fut pas sans influence sur Les vieux à l’enterrement de Biéler. On l’a dit peintre folklorique, régionaliste, lui qui étudia à Paris et s’intéressa à tous les mouvements artistiques de son époque. Il a simplement peint dans un mouvement de réaction à l’ère industrielle qui annonçait la fin des coutumes ancestrales, des habits traditionnels, la fin de la paysannerie, un monde en déclin, voué à l’extinction et qu’il a su immortaliser en le magnifiant, comme en témoignent ses nombreux portraits et toutes les scènes quotidiennes qu’il a peintes.

On peut reprocher à Biéler d’avoir été trop doué et trop influencé par les artistes qu’il admirait, de n’avoir pas une œuvre assez « personnelle » mais l’envers de la médaille est la grande diversité des sujets et des styles qu’il a abordés, capable tout aussi bien de travailler le bois et le vitrail. Il était temps que Biéler franchisse les frontières de la Suisse où il a trop longtemps été cantonné.

Ernest Biéler, en collaboration avec le Kunstmuseum de Berne, du 1er décembre 2011 au 26 février 2012 à la Fondation Pierre Gianadda, 59 rue du Forum, Martigny, Suisse.

Ouverture, tous les jours de 10h à 18h

Tarifs : adulte : 18 francs suisses (15€) ; senior : 16 francs suisses (13,50€) ; familles : 38 francs suisses (31,50€) ; enfants dès 10 ans, étudiants jusqu’à 25 ans : 10 francs suisses (8,50€)

Téléphone : +41 (0)27 722 39 78 – www.gianadda.ch

Légendes visuels :  – Portrait de l’artiste par lui-même, 1911, Aquarelle et gouache sur papier, 30.3 x 27,1 cm, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-arts. Don de l’artiste, 1912 © Lausanne, Musée cantonal des Beaux-arts, Lausanne (J.C. Ducret)
L’Enigmatique, Aquarelle sur papier, 26 x 21 cm, Collection particulière, © Hinterkappelen, Markus Beyeler
Les Feuilles mortes, 1899, Huile sur toile, 149,7 x 481,5 cm, Kunstmuseum Bern, © Schönbühl, Prolith AG

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