Hommage à Georges Mathieu

Par Christine Sourgins*

/La même semaine disparaissaient Georges Mathieu et un commentateur sportif : vingt minutes d’hommage au JT pour le spécialiste du ballon rond ; toute la journée radios et journaux ont glosé sur  « Thierry Roland, sa vie, son oeuvre ». Et pour l’inventeur de l’Abstraction lyrique ? Trois lignes, trente seconde ; réduit au logo d’Antenne 2, à la pièce de 10 francs, les jeunes générations auront à peine pu entrevoir que Mathieu peignait. Au mieux, on l‘a présenté comme un performer, « un organisateur de happening, d’événements en public ». Au siècle du divertissement travesti en culture, la Peinture  est donnée comme un club, avec des GO pour « amuser la galerie ».

Le représentant du ministère de la culture a brillé par son absence à ses obsèques. Logique : la rue de Valois organise l’invisibilité de Mathieu depuis trente ans. Beaubourg ne lui a même pas consacré une grande exposition, préférant souvent les réserves aux cimaises pour un morceau de bravoure tel que « Des capétiens partout ». Ce titre, qui fleure bon l’histoire de France, est-il politiquement correct ? Et Mathieu tel Saint Georges rompit des lances pour demander, horresco referens, le retour de l’éducation artistique à l’école…voire la suppression du ministère de l’inculture.

Nous étions donc 80 à lui rendre hommage à Notre Dame de Paris ; à côté de son cercueil blanc, une de ses toiles : un ciel bleu où des zébrures d’or ouvraient une plaie rouge. Deux académiciens arboraient leur bel habit vert. Mathieu, qui organisa des manifestations commémorant la « seconde condamnation de Siger de Brabant », aimait le faste, le panache ; il était de ceux qui pensent qu’il « faut étayer les supériorités morales par des symboles matériels, sinon elles retombent » ; de plus, la voie de l’Abstraction lyrique est une voie de l’enthousiasme qui suppose un sens de la fête, de la vitalité, une certaine théâtralité qu’on lui a parfois reproché. La cérémonie de ce 18 juin fut simple et digne ; elle s’ouvrit sur le témoignage de Pierre-Yves Trémois, un salut magistral autant qu’amical au « samouraï du geste » à celui qui, conjuguait « la révolte, la vitesse, le risque et la lucidité dans l’extase ».

Mathieu était inquiet de son temps, un homme aux aguets qui remarqua immédiatement le texte d’une jeune historienne de l’art qui contestait l’hégémonie de l’art officiel. Il décrocha son téléphone et m’invita à prendre le thé… au George V : toujours ce sens du symbole et de la classe. Nous eûmes une longue conversation où il me confia quelques souvenirs et ses désillusions : l’académie n’était pas la chevalerie qu’il imaginait et sa voix étouffait un rugissement, les moustaches frémissaient. C‘est le souvenir que j‘ai gardé de lui : un homme-lion sanglé dans un costume impeccable ! Il me dédicaça l’ultime exemplaire d’un pamphlet qu’il avait fait imprimer. Le papier avait souffert quelques déchirures qu’il avait raccommodées exprès : le fauve avait une habileté de couturière. Ce petit opuscule, relié d’un cordon rouge, eut valeur pour la jeune historienne de passage de témoin. Il s’intitulait : « Cet « art » que l’on dit « contemporain » ».

Désormais c’était à ma génération de continuer le combat…

Dans le petit opuscule d’une trentaine de pages, intitulé « Cet « art » que l’on dit « contemporain » », Mathieu visait « les technocrates de l’art ». On sait que la formule fétiche du peintre était : « Le signe précède sa signification », autrement dit, il y a un langage visuel, perceptible avant la mise en concept et en mot. Tout discours amphigourique prenant la place d’un art de l’œil et de la main le hérissait.  « Le signe  précède sa signification » était l’équivalent du fameux E=MC2 et démontrait l’absurdité d’une conceptualisation outrancière de l’art.

Mathieu dénonçait aussi « la véritable « mafia » qui dirige l’orientation de l’art dans le monde », cet art dont la finalité « n’est plus que sa propre mort », une « gangrène culturelle » où sévit « l’influence des modes américaines ».
Là, une mise au point s‘impose : Mathieu fut rédacteur en chef pendant 10 ans d’une revue culturelle bilingue et ne peut être soupçonné d’antiaméricanisme primaire, au contraire, il fut « le premier en Europe à révéler l’importance de l’art américain dès 1948 sans savoir alors qu’il s’agissait, non d’une pure manifestation artistique spontanée, mais d’une volonté déterminée de voler l’idée d’art moderne à l’Europe et à Paris en particulier » ( le livre de Serge Guillebaut l’avait passionné).

« Harold Rosenberg et Clément Greenberg créèrent le mythe d’un art spécifiquement américain alors qu’en Europe Hartung, Wols, Atlan, Soulages, et moi-même n’avions pas attendu leur exemple ». Puis le galièriste Castelli et l’historien Alfred Barr  annexèrent « vers 1960 le Pop Art né en Angleterre entre 1952 et 56 », avec la complicité de Restany, le père du Nouveau Réalisme  affirmait (ce que Mathieu contestait vigoureusement)  que l’abstraction lyrique  s’épuisant en redites, il fallait passer de la peinture à… la sociologie.

Mathieu, qui épinglait « ces renégats dont la légitimité ne s’est conquise qu’à l’aide d’un passé récusé », qualifiait l’œuvre de Duchamp de « transartistique », ce qui est bien vu, il rapporte une conversation avec Castelli :
-« savez-vous que je vous considère comme le plus grand fossoyeur de l’art contemporain ?
– Non, répondit l‘autre, ce n’est pas moi, c’est Duchamp.
– Oui, mais Duchamp avait de l’humour…

Significative encore, l’anecdote où Clément Greenberg  lui dédicace une photo « A G. Mathieu, le peintre d’outre atlantique que j’admire le plus », « tout en m’interdisant de rendre public ce jugement craignant d’attenter à la réputation d’hégémonie artistique des États-Unis ». « L’intelligentsia américaine de gauche, voulant se démarquer du stalinisme …prit partie pour la peinture abstraite… ».
L’avant-garde américaine (devient) une arme culturelle contre la propagande soviétique », bref un effet « du nationalisme américain incarnant une véritable idéologie dont le sectarisme n’a cessé de croitre ». Avec la complicité des médias, de l’intelligentsia et de la bureaucratie française peut-on ajouter aujourd‘hui.

Vous retrouverez les idées de Mathieu dans le livre qu’il publia suite à ce pamphlet :
« Le massacre de la sensibilité », Odilon Média 1996.
(Évitez la FNAC car la FNAC ne connaît pas Mathieu : leur site a inventé un Gérald Mathieu, auteur de ce livre !).

Photo : Hommage à la mort, de George Mathieu.

2 Comments

  1. On est un peu las de cette hystérie pleurnicharde autour de celui qui fut un peintre très médiocre et surtout le peintre officiel de la giscardie triomphante. Ce monsieur, grâce à son réseau et ses copains, avait toutes les commandes d’état et a gagné fort bien sa vie au détriment du contribuable : logo affreux, pièces de monnaie, expos partout… facile quand on copine avec le patron de l’hôtel des monnaies et toute la nomenklatura giscardienne. Alors, nous le présenter maintenant comme un rebelle qui a été victime du système, c’est un peu gros ! Et entre nous, ses taches explosées, ça ressemble à rien ! Et c’est tellement représentatif de ce qu’est l’art contemporain : une trouvaille débile et 500 tableaux qui sont tous pareils !

  2. Vincenzo,
    c’est ne rien connaitre à ce grand artiste peintre, sculpteur, écrivain, philosophe
    à qui on a jamais pardonné ses coups de griffes contre certaines institutions
    comme le ministère de la culture…….

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