Dans la maison, de François Ozon ou la littérature en mouvement

/Clairement, Fabrice Luchini a déjà claironné qu’il n’avait pu refuser un tel scénario qui montre les délices et les poisons d’une relation quasi littéraire entre un professeur de seconde et un élève de seize ans surdoué. Comme on le comprend ! L’occasion était trop belle pour le plus grand défenseur de La Fontaine d’incarner à l’écran une sorte d’agitateur littéraire, complice d’un petit génie en herbe.

Librement inspiré de la pièce Le garçon du dernier rang de Juan Mayorga, Dans la maison, le film de François Ozon commence comme une comédie italienne, feutrée, joyeuse, contestataire. Et pourtant, le style est bien français, avec un regard quasi rohmérien sur les personnages : dialogue fort et présence physique affirmée. Monsieur Germain (Fabrice Luchini) est un professeur ambitieux qui veut hisser ses élèves à un niveau supérieur et Claude (Ernst Umhauer) se prête au jeu du devoir d’école en écrivant le roman de sa vie avec une verve insoupçonnée. Tout cela est enthousiasmant, rondement mené, caustique souvent, jouissif toujours. « Un sentiment de confort » s’installe, dixit Luchini.

Voilà pourquoi au moins trois bonnes raisons nous encouragent à vous conseiller d’aller voir Dans la maison :

1.   Un lycée pilote

Le Lycée Gustave Flaubert est un fleuron de l’enseignement nouvelle formule. Chaque élève, défavorisé ou appartenant à la classe moyenne, porte l’uniforme : pantalon gris pour les garçons et jupe plissée pour les filles, chemise blanche et cravate club, blazer pour tous. Les critiques à la veille de la sortie du film n‘ont pas du tout montré cet aspect du film. Jean-François Balmer joue un proviseur attentif, scrupuleux et fier de son établissement. Il reste intransigeant : si l’éducation est un apostolat, les éducateurs doivent êtres exemplaires et les élèves soumis pour leur bien être à un code déontologique. Ozon traduit bien ce rapport d’autorité. Et Luchini apparaît comme un professeur de l’ancienne école, romancier raté mais passionné par son rôle d’enseignant, allant jusqu’à pousser ses élèves non pas seulement à lire mais à écrire. Une ambition qui va le mener à sa perte.

2.   Roman ou réalité ?

Claude vit sans mère mais avec un père handicapé et chômeur dans une HLM. On comprend très vite que son exploration régulière de la maison où vit son camarade de classe Rapha (Bastien Ughetto), sous prétexte de l’aider en mathématiques est une façon d’imaginer une vie qu’il ignorait totalement jusque-là. Il y découvre non seulement une vraie famille mais aussi la quête du désir.
Ainsi, la caméra d’Ozon explore cette réalité qui devient romanesque sous la plume de Claude. Ce n’est donc pas un hasard si Germain encourage Claude à lire un certain nombre de grands auteurs « psychologiques » dont Flaubert et Dostoïevski. Clin d’œil révélateur, on voit même Rapha, le complice involontaire de ce montage romanesque, tenir Les désarrois de l’élève Töerles, chef d’œuvre de Robert Musil à la main, illustration qu’un piège démoniaque est peut-être en train de se tramer.

3.   Un thriller qui n’en est pas un

Finalement, on sent bien que François Ozon est à la lisière d’un genre quand il filme étape après étape la lente progression de ce roman en train de s’écrire. Il flirte avec le polar, avec le thriller, même avec le fantastique (Bergman n’est jamais loin) sans jamais y succomber.

Chaque personnage a le ton juste : Kristin Scott Thomas (qui porte aussi chemisier blanc et cravate), l’épouse du professeur, galeriste avant-gardiste et inquiète de la tournure que prennent les copies de Claude, se trouve malgré elle-même mêlée à cette histoire qui vire au drame.
Quant à Fabrice Luchini, est-il besoin de redire combien ce rôle écrit sur mesure lui va comme un gant. Reste la révélation du film : Ernst Umhauer, 22 ans, dont on apprécie le jeu subtile, la beauté un rien perverse, le regard espiègle et la voix étonnamment juste et sensuelle. « J’ai toujours voulu être comédien, confie Ernst Umhauer, et cela a confirmé mon désir ». Ayant vu Fabrice Luchini dire Le Voyage au bout de la nuit, il s’était exclamé : « Ce mec-là, je veux le rencontrer ! », tout en étant persuadé que ça n’arriverait jamais… ». Il peut remercier Ozon de lui avoir mis le pied à l’étrier. Car sa carrière promet d’être longue.


* Dans la maison, long métrage d’1 h 45 de François Ozon, avec Fabrice Luchini, Kristin Scott Thomas, Emmanuelle Seigner, Denis Ménochet, Ernst Umhauer et Bastien Ughetto.

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