Nicolas Berdiaev, un philosophe pour comprendre la Russie

/Les samedi 13 et dimanche 14 avril, salle de séminaire, à l’Hôtel du Canal, à Castelnaudary et au Monastère des sœurs dominicaines de Pouillé, à Fanjeaux, se déroulera un colloque consacré à  « Nicolas Berdiaev aujourd’hui, La personne, la liberté, la créativité » avec la participation de conférenciers réputés, spécialistes de philosophie, d’histoire, de spiritualité, de politique sociale.

Ce colloque est organisé par Jean-Claude Gerre au nom de l’Association Culturelle du Razès, en collaboration avec YMCA-Press, l’ACER-MJO, Le Messager orthodoxe, le Collège des Bernardins et accueillera des intervenants prestigieux tels que Cyrille Sologoub, président de l’Action chrétienne des étudiants russes-Mouvement de jeunesse orthodoxe (YMCA-Press-MJO), cofondée par Berdiaev ; de Nikita Struve, professeur de lettres, Directeur d’YMCA-Press, une maison d’édition autrefois dirigée par Berdiaev, directeur des Éditeurs réunis et de la revue Le Messager orthodoxe.

Personnalité complexe, le philosophe russe Nicolas Alexandrovitch Berdiaev alias Berdiaeff est né à Kiev en 1874. Il est mort à Clamart en 1948. Bilingue, il écrivit de nombreux textes en russe ou en français. Aujourd’hui, soixante-cinq ans après sa mort, il reste encore un personnage controversé pour avoir été marxiste dans sa jeunesse et même d’avoir malmené l’Église russe. En 1900 portant il connut comme Saul son chemin de Damas et se dégagea de ses erreurs révolutionnaires.
Né dans une famille de la haute noblesse russe, il était le fils d’un officier du prestigieux régiment des chevaliers gardes, mais voltairien et tolstoïen, et d’une mère « plus française que russe » comme fille de la comtesse Mathilde de Choiseul-Gouffier.

Lui-même, admis au corps des cadets, il se détourna très vite de l’idéal militaire, pour la peinture et la littérature et se détacha rapidement de l’ « orthodoxie impériale et nationale », lui préférant l’exaltante communion avec les forets de la nature russe. Il se compromit alors avec l’intelligenstia révolutionnaire et marxiste jusqu’à sa libération par Nietzsche. Mais c’est surtout Dostoïevsky qui le marqua plus que tout autre et lui consacra un livre : L’esprit de Dostoïevsky. (1923)
Sa rupture avec les marxistes ne l’empêcha pas de saluer la fin du tsarisme, dès février 1917 et d’être élu membre du Conseil de la République, en tant que « militant social ».

Il accueillit favorablement le coup d’État des bolchéviques qui le couvrirent d’honneurs. Professeur à l’université de Moscou, il fonda l’Académie libre de Culture spirituelle (1919-1922) dont le succès le conduit à sa fermeture par les communistes athées. Arrêté au cours de l’hiver 1920, il expliqua au sinistre Dzerjinsky qui l’interrogeait que si sur le terrain philosophique, moral et religieux, il paraissait être un adversaire du communisme, dans le domaine politique il n’avait jamais rien fait contre lui. Libéré, il poursuit ses activités et continue à donner des conférences sur des sujets spiritualistes en pleine période de persécution antichrétienne. Malgré les dénonciations, il continue d’être protégé, et s’en tire à bon compte en étant seulement expulsé d’Union soviétique en 1922, après avoir passé une semaine dans la prison de la Tchéka. En 1924, il transféra à Paris l’Académie de philosophie et de religion qu’il avait fondée à Berlin. « L’histoire moderne prend fin, déclare-il à cette époque Une époque historique inconnue commence, elle n’a pas encore de nom. »

Il continue à professer des idées qui le font remarquer par les hommes de la gauche bourgeoise, Blum, Gide, Malraux, ou des staliniens comme Nizan, etc. Cela lui valait d’être considérer par ses compatriotes exilés d’être considérer comme un communisant. voyaient en lui un communisant. En fait, il faisait avec fatalisme la part des choses et le triste constat de la réalité : « Ce que le communiste a de si redoutable, c’est une combinaison de vérité et de mensonge ; jugeait-il, il s’agit avant tout de ne pas nier la vérité mais de la dégager de l’erreur. »
Ce qu’il voyait, naïvement  de positif dans la révolution bolchevique, c’était « la critique de la civilisation bourgeoise et capitaliste », la dénonciation d’une fausse société chrétienne décadente et dégénéré, adaptée aux intérêts de la période capitaliste. Il contestait d’ailleurs l’originalité du communisme qu’il faisait remonter à la « philosophie de la bourgeoisie éclairée du XVIIIe » à qui il devait son matérialisme, ce que ne dénoncerait pas le professeur Jean de Viguerie, et son « économisme […] à la société capitaliste du XIXe » ; ce qui est incontestable, ajoutant que la notion de toute puissante technicité est un produit de l’Amérique.
Pour lui : « Du bourgeois positiviste au marxiste orthodoxe (sic), on passe sans heurt ni saut par une simple accélération de la chute. La trahison de l’esprit date peut-être de l’invention des lois économiques ; assurément de leur divinisation. Le marxisme a simplement tiré toutes les conséquences pratiques de cette idéologie typiquement bourgeoise. C’est là ce qu’on appelle sa révolution. »

Pierre Mauge, dans une excellente chronique parue sur Internet , à propos de son livre La philosophie de l’inégalité, le situe dans grande tradition des écrivains contre-révolutionnaires :
« Bien qu’il ait été écrit dans le chaos de la révolution russe, et tout imprégné qu’il soit du mysticisme propre à l’orthodoxie, ce livre recèle en effet un message de portée universelle. Par delà le temps et le fossé culturel qui sépare l’Europe latine du monde slave orthodoxe, les analyses de Berdiaev rejoignent celles de Joseph Maistre et de Louis de Bonald, affirme Maugué ; elles mettent non seulement en lumière les racines communes à la révolution jacobine et à la révolution bolchevique, mais concluent à la primauté des principes sur lesquels reposent les sociétés traditionnelles. »

Comme Joseph de Maistre (3), Berdiaev voit dans la révolution une conséquence de l’incroyance et de la perte du centre organique de la vie. «Une révolution, quelle qu’elle soit, est antireligieuse de par sa nature même, et tenter de la justifier religieusement est une bassesse… La révolution naît d’un dépérissement de la vie spirituelle, de son déclin, et non de sa croissance ni de son développement intérieur».
Mais la révolution ne s’attaque pas seulement à la religion en tant qu’elle relie l’homme au sacré et à la transcendance, mais aussi dans la mesure où elle établit un lien entre les générations passées, pré¬sentes et futures.
Comme le note Berdiaev, «il existe non seulement une tradition sacrée de l’Église, mais encore une tradition sacrée de la culture. Sans la tradition, sans la succession héréditaire, la culture est impossible. Elle est issue du culte. Dans celle-ci, il y a toujours un lien sacré entre les vivants et les morts, entre le présent et le passé… La culture, à sa manière, cherche à affirmer l’éternité».

Berdiaev ne peut donc que s’insurger contre la prétention des révolutionnaires d’être des défenseurs de la culture. S’adressant à eux, il écrit: «Vous avec besoin de beaucoup d’outils culturels pour vos fins utilitaires. Mais l’âme de la culture vous est odieuse». Ce que Berdiaev leur reproche, c’est aussi leur mépris des œuvres du passé: «La grandeur des ancêtres vous est insupportable. Vous auriez aimé vous organiser et vous promener en liberté, sans passé, sans antécédents, sans relations», et il se voit obliger de rappeler que «la culture suppose l’action des deux principes, de la sauvegarde comme de la procréation».
Il donne un sens aux persécutions religieuses des communistes contre les religions, « surtout contre l’Église orthodoxe en raison du rôle historique qu’elle a joué. Athées militants, ils sont tenus de mener une active propagande antireligieuse. Mais en fait, si le communisme s’oppose à toute religion, c’est moins au nom du système social qu’il incarne que parce que lui-même représente une religion apte à remplacer le christianisme. Il prétend répondre aux aspirations religieuses de l’âme humaine, donner un sens à la vie. Le communisme se veut universel, il veut commander toute l’existence et non pas seulement quelques-uns de ses moments. »
Pour Berdiaev, le communisme soviétique « est plus traditionnaliste qu’on a coutume de le penser », parce qu’il découle d’une « transformation et une déformation de la vieille idée messianique russe. »

En 1946, alors que la Russie pliait sous la dictature stalinienne, son peuple croupit au Goulag, il ne désespère pas d’elle et écrivait dans L’idée Russe ces paroles d’espérance : « Il y a la Russie de Kiev, la Russie sous le joug tartare, la Russie de Pierre le Grand et la Russie soviétique, et il est possible qu’il y ait encore une Russie nouvelle. »
Son « seul espoir était que le bolchevisme fût vaincu de l’intérieur. Le peuple russe devait être son propre libérateur », disait-il. Vision prophétique qui annonçait peut-être la Fédération de Russie d’aujourd’hui.

Rien que pour cela, malgré ses erreurs, Berdiaev mérite de ne pas être oublié.

Jean-Bernard Cahours d’Aspry

Pratique :

Samedi 13, salle de séminaire, à l’Hôtel du Canal, 88, 108 avenue Arnaut Vidal, 11400 Castelnaudary,
Dimanche 14 avril ,Monastère des sœurs dominicaines de Pouilhe, 11270, Fanjeaux, Tel. 04 68 11 22 62


Renseignements et inscription :

Jean-Claude Guerre, Association culturelle du Razes
8 rue des Fleurs, 11290 Montréal d’Aude
04 68 76 34 21 / 06 83 01 50 22
jeanclaude.guerre@neuf.fr

Notes :

1. Voir notre rubrique « bonnes adresses » sur les Bernardins
2. Cité par Jean-Jacques Moureau, « Un itinéraire non conforme, Les sources et le sens de Nicolas Berdiaev », in Enquête sur l’histoire, Hiver 94, N° 9, p. 40.
3. Pierre Maugué, in  Euro-Synergies, Forum des résistants européens, 20 août 2008.
4.Nicolas Berdiaev,  Les Sources et le sens du Communisme, (1937), traduction Lucienne Cain,  Gallimard, collection « Idées », Paris, 1963.

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