Rudolf Noureev : les tribulations d’un grand danseur classique

/ Le 17 mars 2013, Rudolf Khametovitch Noureev aurait eu 85 ans s’il n’était mort le 6 janvier 1993, à Levallois-Perret.
De Oufa à Paris, retour sur les tribulations d’un grand danseur classique.

 

Il est considéré comme l’un des plus grands danseurs classiques du XXe siècle et l’un des meilleurs interprètes du répertoire romantique et classique, tout en s’affirmant dans la danse contemporaine dont il fut un interprète exceptionnel dans des créations de Frederick Ashton, Rudi van Dantzig, Roland Petit, Maurice Béjart, George Balanchine, Glen Tetley, Martha Graham et Murray Louis. Très éclectique, il fut également un des premiers danseurs à s’intéresser à la renaissance du répertoire baroque.

On peut, sans crainte de se tromper, déclarer qu’après Michel Fokine et les Ballets Russes de Diaghilev, il a bouleversé la perception de la danse classique masculine, attachant beaucoup d’importance à la chorégraphie des danseurs. Également chorégraphe, il a laissé des chefs d’œuvres qui sont régulièrement repris, à l’Opéra de Paris et ailleurs. Danseur d’exception, il s’est produit inlassablement tous les soirs, à Paris ou dans le monde et a laissé l’image d’un danseur d’exception devant un immense public.
Il a également été très médiatisé et même sans doute été plus filmé que tout autre danseur, avant ou après lui, depuis son arrivé spectaculaire en France en 1961, si bien qu’avec Nijinsky il est devenu une des figures mythiques de la danse au XXe siècle.
Dans le cadre de la commémoration du soixante quinzième anniversaire de sa naissance des hommages lui seront rendus toute l’année dans le monde. Ainsi, le 7 janvier 2013, la Monnaie de Paris a édité deux pièces de collection à son éffigie, dessinés par Christian Lacroix, en argent et en or.

En septembre, le Ballet du Kremlin qui présentera sa chorégraphie de Cendrillon, sur une musique de Prokofiev pour la première fois. Les personnes intéressées trouveront le calendrier sur le site officiel de la Fondation Rudolf Noureev. Le 18 mars denier, un film, Rudolf Nureev, le démon tourmentée, produit par Alfiya Chebotovera, a été donné en première projection mondiale au CRSC de Paris, devant de nombreuses personnalités de la danse et des arts (Jean Guizerix, Noella Pontois, le cinéaste Bertrand Normand, auteur du remarquable film Ballerina, sur les danseuses du Mariinsky, Ariane Dollfus, auteur de Noureïev l’insoumis, paru chez Flammarion en 2007, et sans doute bien d’autres personnalités que j’oublie. Réalisé avec le concours de nombreux témoignages d’amis de jeunesse, de témoins de sa carrière, venus briser certaines légendes, complaisamment ressassées.

L’histoire de Noureev y est évoquée par le truchement du danseur russe, Andris Liepa, qui fut honoré de l’amitié de Noureev. Rien pourtant dans ses origines ne laissait prévoir une telle destinée. Benjamin d’une fratrie de quatre enfants, Rudolf vivait dans une famille d’origine paysanne de Bachkirie, mais son père instructeur politique dans l’Armée soviétique, fit au début tout son possible pour contrarier sa vocation, rêvant de faire de lui un fonctionnaire zélé au service de la dictature communiste, avant de se résoudre quand Rudolf réussit à gagner sa vie au Théâtre d’Ouffa où la famille était installée. Il était né officiellement le jeudi 17 mars 1932 dans le Transsibérien, ce qui explique peut-être sa soif inextinguible de voyages, toute sa vie.

C’est à Oufa qu’il fut saisi par sa vocation, le soir du réveillon du Nouvel An 1945, sa mère l’ayant dans l’opéra voir un ballet patriotique intitulé Le Chant des Cigognes, avec l’étoile bachkire formée à Léningrad, Zaituna Nazretdinova. Pour Rudolf ce fut son chemin de Damas. Dès lors, possédé par la danse, il n’eut plus envie que de danser et d’en faire son métier. Sa vocation se précisa l’année suivante, lorsqu’il put participer à un spectacle de danses folkloriques à l’école. Avec la complicité de sa mère, il travailla avec deux professeurs de danse, Anna Oudeltsova et Eléna Vaitovitch qui avaient été de grandes professionnelles avant la révolution. Devant le potentiel qu’elles décelèrent chez l’enfant, elles lui suggérèrent d’aller poursuivre ses études de danse à Léningrad où elles avaient elles-mêmes été formées et qu’elles considéraient comme étant la meilleure école du monde. Y entrer semblait pourtant relever d’une difficulté insurmontable, surtout du fait que son père avait interdit à son fils de continuer à suivre ses cours de danse sous prétexte qu’ils gênaient sa scolarité et entravaient ainsi ses chances d’embrasser une carrière d’ingénieur ou de médecin. Mais sa mère complice, fermait les yeux sur ses escapades aux cours de danse qu’il justifiait en prétextant d’autres activités. Le temps passait mais Rudik ne perdait pas de vue son ambition de devenir danseur. A 15 ans, en 1953, il commença à faire de la figuration dans les spectacles du théâtre d’Oufa. Le peu qu’il touchait lui permettait de faire ses classes avec la compagnie. L’année suivante, il y accepta un premier rôle de figurant.

/Le 2 juillet 1955, Noureev ayant reçu une convocation pour passer l’examen d’entrée à l’école de ballet de Saint-Pétersbourg. Profitant que la troupe d’Oufa avait été invité pour une tournée de dix jours à Moscou, il put les accompagner. Dans la capitale soviétique, il passa une audition à l’école de danse du Bolchoï avec Asaf Masserer, l’un des plus grands danseurs russes de l’époque, et figure légendaire du Bolchoï et fut admis, mais dut renoncer, l’école n’ayant pas d’internat, sans bourse et sans l’aide de sa famille, pour lui c’était impossible de rester à Moscou.

Quand la tournée fut achevée, ne renonçant pas à ses rêves de devenir un vrai danseur classique, au lieu de rentrer à Oufa avec le reste de la troupe dont le directeur lui offrait un contrat à plein temps, il dépensa l’argent qu’il avait gagné pour se rendre à Léningrad passer une audition au Kirov. Il fut admis et intégra la célèbre école où ont été formé Fokine, Nijinsky, Karsavina, Balanchine et tant d’autres. Là, il put travailler avec un professeur d’exception, Alexandre Pouchkine. Grâce à son enseignement Noureev parvint en dernière division où il resta deux ans ; et lors de la soirée de fins d’études, il dansa avec une telle ferveur et un tel éclat que le Kirov et le Bolchoï lui offrirent un contrat.
Naturellement il choisit le Kirov, où il fit ses débuts dans Laurencia, aux côtés de la célèbre ballerine Natalia Doudinskaya, dont c’était l’un des rôles les plus remarquables. Noureev y remporta un très vif succès qui établit sa réputation. Admis dans le corps de ballet en 1959, il y devint très vite soliste s’illustrant jusqu’en 1961 dans une quinzaine de rôles (y compris les rôles-titres) dans Don Quichotte, la Bayadère, la Belle au Bois Dormant et le Lac des Cygnes qui vinrent s’ajouter à ceux qu’il avait dansés pendant ses années d’école, et il fut le partenaire de toutes les étoiles de la compagnie. Très rapidement, il eut un cercle d’admirateurs qui assistait à chacune de ses représentations, admiraient sa passion de danser et ses interprétations hors des sentiers battus, la lecture très personnelle qu’il faisait de chaque ballet.

/Mais le 16 juin 1961, sa vie bascula. Lorsque, pour sa première tournée à l’étranger, le Kirov se rendit à Paris en 1961, il était devenu impensable de ne pas emmener Rudolf, qui était devenu une vedette. Il ne se conforma pas pour autant à ce qu’on attendait de lui et on le surveillait de près. Au lieu de regagner son hôtel docilement dans les autocars prévus, il sortait avec des danseurs Français et autres amis parisiens. D’autres danseurs du Kirov en faisaient autant, mais par son caractère indépendant et fantasque, il était celui qui inquiétait le plus les agents du KGB chargés de surveiller toute la tournée. Ses amis français lui ayant conseillé de rester en France et d’y demander l’asile politique, l’avait troublé et il ne savait plus que faire. Il avait envie de revoir la Russie, sa mère, ses sœurs, ses amis, mais à Paris il avait goûté la Liberté. Indécis sur sa destiné, il se rendit à la Madeleine pour prier et « demander un signe » au Seigneur, confia plus tard à René Sirvin. Lorsque qu’il arriva le lendemain avec la troupe à l’aéroport pour se rendre à Londres, on lui remit non pas un billet pour l’Angleterre, mais pour Moscou où il devait participer à un gala devant Kroutchev. Incrédule aux assurances qu’on lui donnait selon lesquelles il rejoindrait ensuite la compagnie à Londres, il était convaincu qu’on ne le laisserait plus jamais sortir d’URSS et qu’il serait écarté de la scène.
C’est alors que le signe se présenta montra à lui quand la troupe fut embarqué dans l’avion. L’agent du KGB devant le surveiller, complètement ivre, relâchait son attention. quand une femme, sans doute son amie parisienne Clara Saint, belle-fille de Malraux accompagnée d’un policier français vinrent lui proposer l’asile politique. C’était le signe. Il ne réfléchit pas et les suivit tranquillement, au nez du cerbère trop saoul pour les suivre, selon le témoignage de Madame Jeanne Ranguet, organisateur de la tournée, qui était restée avec lui jusqu’à son départ pour Moscou. Vous pourrez le voir et l’entendre dans le film cité plus haut en référence. L’accueil politique lui fut accordé tout de suite.

Ayant enregistré un succès personnel spectaculaire pendant la saison du Kirov à Paris, il fut engagé par le Ballets Marquis de Cuevas pour danser la Belle au Bois Dormant où il obtint un triomphe. Pendant ce temps là en URSS, il était condamné à une peine d’emprisonnement par contumace pour sa trahison. Libéré de son engagement chez Cuévas, il voulut connaître la ballerine Rosella Hightower qu’il estimait beaucoup, et monta avec elle son premier ballet, le pas de deux de Casse-noisette.
Une autre ballerine, Maria Tallchief, lui proposa de l’emmener avec elle à Copenhague pour lui faire connaître le danseur danois Erik Bruhn que Rudolf admirait plus que tout autre danseur, pour l’avoir vu dans un film d’amateur. Ainsi rencontra-t-il son idole. Ils tombèrent immédiatement amoureux l’un de l’autre, et leur relation ne cessera qu’à la mort du Danois, en 1986. Cette liaison sentimentale devait permettre au jeune russe d’enrichir considérablement son métier au cours de leur classe quotidienne que les deux artistes prenaient ensemble. Dès lors, Noureev se mit à assimiler beaucoup mieux le style occidental qu’il avait appris en Russie. L’attitude de Bruhn face à ses rôles confirma Noureev dans sa conviction qu’un homme devait pouvoir danser de façon aussi expressive qu’une femme, comme l’avait déjà affirmer Fokine.
Invité à Londres par Margot Fonteyn pour participer à un gala de charité, Rudolf noua une liaison artistique avec l’étoile britannique, et leur couple entra dans la légende. Selon Noureev, il formait en fait « un seul corps et une seule âme », notamment dans Giselle, Le Lac des cygnes, et surtout dans Margueritte et Armand, que Fredérick Asthon composa pour eux d’après La Dame aux camélias, en 1963.
Avide de découvertes, Noureev parcourait le monde et ne se fixa qu’en septembre 1983, quand il fut nommé directeur de la Danse à l’Opéra de Paris. Également chorégraphe, admirateur de l’école française et inconditionnel de Bournonville et de Petipa, Noureev adapta quelques uns de ses ballets.

À la fin de sa vie, luttant contre la mort, il monta deux œuvres de ce dernier : Raymonda (1898) et La Bayadère (1877). De retour à Paris, confronté à d’incessants conflits administratifs à l’Opéra, il quitta son poste de directeur de la danse mais en resta le chorégraphe principal.
Le 8 octobre 1992, ayant contracté le Sida, il apparut pour la dernière fois en public, à l’occasion de la première au Palais Garnier, d’une nouvelle production de La Bayadère, qu’il avait chorégraphié d’après Marius Petipa. Le public debout l’ovationna et Jacques Lang, ministre de la Culture, lui remet la plus haute récompense culturelle en France, le faisant commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres. Il avait déjà été reçu comme chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Trois mois plus tard, à 54 ans, il s’éteignit chez lui, à Levallois-Perret.

Aujourd’hui il repose pour l’éternité en terre de France qui fut sa seconde patrie, mais au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, auprès de ses compatriotes. Il n’était rentré chez lui qu’une seule fois, en 1989, après vingt-huit ans d’exil, pour danser sur la scène du Kirov de Léningrad et en avait profité pour aller à Oufa voir sa mère très malade à Oufa, mais à cause des difficultés administratives qu’avait organisé l’administration communiste, il était arrivé trop tard, et pratiquement personne n’avait été là pour l’accueillir.

Jean-Bernard Cahours d’Aspry

Hommage à Rudolf Noureev, à l’occasion du 75e anniversaire de sa naissance.
http://www.facebook.com/Fondation.Rudolf.Nureyev?ref=stream
http://videos.tf1.fr/jt-20h/sur-les-traces-de-rudolf-noureev-danseur-insoumis-7844697.html

www.noureev.org/

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