Quand Juan Carlos succéda à Franco

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Une biographie française décortique la relation étroite entre le futur Juan Carlos et le général Franco qui en fit son héritier. Un récit haletant signé par la fille de Régis Debray, 36 ans, spécialiste de l’Espagne.

Le 23 novembre 1975, Juan Carlos est proclamé roi d’Espagne par les Cortès, le parlement. « L’institution que j’incarne intègre tous les Espagnols, déclare t-il, solennellement. Une société libre et moderne exige la participation de tous dans les prises de décision ». Un acte fondateur : le roi incarne la légitimité, la continuité mais surtout le changement. En octobre 1976, pendant trois jours, la France est le premier pays européen à recevoir le roi espagnol en visite officielle.  Valéry Giscard d’Estaing avait une arrière-pensée en l’accueillant à l’Élysée. Il misait sur l’entrée de l’Espagne au sein de la CEE, dans un avenir proche. Il faudra attendre le 3 juillet 1978 pour que le président français se rende à son tour à Madrid, première visite d’un chef d’État européen en Espagne depuis la mort du général Franco.

Entre le comte de Barcelone et Franco

Avec sa biographie détaillée, magistralement renseignée et subtilement écrite, Laurence Debray a pleinement réussi à restituer cinquante ans de l’Histoire contemporaine de l’Espagne. Son récit commence avec l’exil du père de Juan Carlos, le comte de Barcelone, alias Don Juan, fils d’Alphonse XIII et de Virginia Eugenia de Battenberg, petite fille de la reine Victoria. Toutes les clés du royaume sont dans ce livre passionnant. Première date capitale de cette histoire évènementielle moderne, marquant la fin de dix années d’opposition frontale entre le caudillo et Don Juan (en exil au Portugal)  : le 25 août 1948. Les deux hommes se rencontrent enfin à bord du bateau de Frano, l’Azor, ancré dans le golfe de  Gascogne. Don Juan accepte que son fils poursuive ses études en Espagne. Les Bourbons se mettent à espérer.

Dans la nouvelle constitution franquiste, l’Espagne s’affirmait alors comme un « État catholique, social, représentatif et constitué en royaume ». Mais le chef de l’État à vie est Franco ; c’est donc lui qui nommera son héritier. Toute l’histoire du livre est le récit pas à pas de  cette passation de pouvoir (1). D’un commun accord, Don Juan accepte que son fils Juan Carlos (né en 1938, surnommé Juanito) poursuive ses études en Espagne et soit ainsi le protégé du caudillo. Comme le souligne Laurence Debray, « Franco peut ainsi prouver à Washington et à Londres que l’Espagne est affectivement un royaume car le fils du prétendant au trône s’y forme pour devenir un jour le futur roi ».
Au fil des années et de l’éducation militaire et politique de Juanito, Franco s’attachera viscéralement à celui qui d’une certaine façon se substitue au fils qu’il n’a jamais eu. On découvre ainsi un Franco affectueux, tendre, attentif envers le futur roi et l’on comprend mieux alors le degré de filiation qu’entretiendra en échange celui qui ne dira jamais en public un mot contre son bienfaiteur et néanmoins père spirituel.

/Légitimité et démocratie

Cependant, Juan Carlos n’oublie jamais d’où il vient et combien son père l’a initié dès l’enfance aux devoirs de sa charge. La blessure est là : il devra régner à la place de son père, en reconnaissant à Franco d’avoir permis le retour de la monarchie sur le trône. Sans Franco, qu’en serait-il advenu de son rétablissement ? En acceptant cette raison d’État, Juan Carlos sait combien cette forme de trahison est irréversible. Car son unique obsession est de servir l’Espagne et ses sujets. Un vrai drame antique se jouera alors dans le palais qu’il occupe dans la banlieue de Madrid. Si Franco a sacrifié son père, qui jamais ne le lui reprochera vraiment?
Ce n’est finalement que le 14 mai 1977, raconte Laurence Debray, alors que le régime franquiste est en cours de démantèlement que son père reconnaîtra officiellement Juan Carlos comme le légitime roi d’Espagne.
En attendant, il lui laisse les mains libres pour agir. Son rôle se limitera à demeurer un conseiller de l’ombre, aussi vigilant que bienveillant. » On connaît la suite : les difficultés, les embûches, la tentative de coup d’état, qui se produiront sans ébranler la volonté du roi de hisser son pays au rang des nations pleinement démocratiques.

C’est au chef du parti communiste Santiago Carrillo, revenu d’exil sur le sol espagnol, d‘exprimer cette vérité en forme d’hommage :
« Nous cherchions la charnière qui faciliterait le passage de la dictature à la démocratie en ignorant que Juan Carlos occupait déjà la position adéquate et qu’il y avait  été placé par celui que l’on imaginait le moins : Franco lui-même ».


(1) Laurence Debray écrit encore page 286 : « En définitive, Juan Carlos incarne à lui tout seul toutes les légitimités – monarchiques, franquistes et démocratiques – et s’impose en arbitre modérateur, réunificateur et pacificateur ». Ajoutons que Juan Carlos anoblira la veuve et la fille de Franco.

Juan Carlos d’Espagne, Laurence Debray, Perrin, 414 pp.

Photo L. Debray : ©-Bruno-Klein

1 Comment

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