Marie Laurencin, grâce, élégance et érotisme

/Davantage connue comme la muse d’Apollinaire que comme le grand peintre qu’elle fut, Marie Laurencin a enfin son exposition au musée Marmottan.
Et il faut en profiter avant que ses toiles ne repartent au Japon qui lui a depuis longtemps consacré un musée, qui détient la plus vaste collection de ses toiles et en a quasiment fait son égérie.

À voir ses personnages languides, aux yeux en amande noirs, ses corps évanescents, ses visages éthérés, les longues et douces lignes des corps tout en sensualité, ses animaux aux formes humaines, on comprend que le Japon lui rende un culte et en ait fait l’icône même du Paris des années 1920.

Dans une profusion de roses et de bleus, puis de gris venant sur le tard, à l’époque de la guerre, celle que vantait Picasso et qui eut pour amis toute la société artistique et littéraire de cette riche époque, de Cocteau à Max Jacob, en passant par Gaston Gallimard, Saint-John Perse, Colette, etc, peint d’un même éclat des couples de femmes, des hommes et des bêtes, dans une confusion des genres et des sexes qui en dit bien davantage sur l’homosexualité et les passions charnelles, sur la poésie éternelle de l’amour que tous les discours, tous les livres, toutes les statistiques et les témoignages recueillis et sermonnés ces derniers temps, car il semble que beaucoup n’aient pas compris encore que passe bien plus facilement le message de l’amour quand il est évoqué par l’art que lorsqu’il est imposé par la loi.
Et combien plus poétiques et désirables sont ces femmes éthérées et cependant bien réelles dans leur masculinité peintes par Marie Laurencin, pourtant femme assez prude et innocente pour qu’Apollinaire la choquât avec ses assauts sexuels répétés et ses lectures de Sade ou de Sacher-Masoch, combien plus désirables et proches que les nymphettes photographiées par Leonardo Marcos pour illustrer son entretien par ailleurs dépourvu de nuances et assez grossièrement orienté avec Régine Deforges et Manon Abauzit, intitulé Les filles du cahier volé et qui sort ces jours-ci aux éditions de la Différence. C’est une fois de plus la naïveté de l’auteur qui touche à son corps défendant là où celui qui cherche à tout prix à convaincre, la plupart du temps, échoue.

Ainsi Marie Laurencin, que je sache, n’a jamais publié de manifeste homosexuel, n’ayant pas eu à choisir ni afficher son « orientation sexuelle » mais s’est laissée guider par sa sensibilité, prouvant une fois de plus que si l’intelligence permet de comprendre, elle n’est pas la meilleure des conseillères quand il s’agit de création, donc de spontanéité. Notre monde étouffe peut-être de trop d’intelligence, c’est-à-dire de trop vouloir expliquer, légiférer, définir et, au bout du compte, mettre en cases, alors que, nous le savons, les plus riches époques sont celles où les sensibilités et les émotions furent les plus libres et les moins enchaînées à la raison. Si nous devions chercher une raison à la pauvreté de notre art depuis quelque temps, peut-être nous faudrait-il chercher de ce côté : à vouloir être à tout prix et constamment engagés, les artistes perdent ce qui fait la valeur de l’art, son universalité, sa multiplicité de lectures.

/« Hier, moi toute seule j’ai été me promener au Jardin d’Acclimatation – J’ai vu sept lamas cinq noirs et deux rouges – avec des têtes de femmes – et des grands cheveux frisés qui tombent – » écrivait Marie Laurencin à Guillaume Apollinaire en 1908, ce que la raison, décidément, ne peut admettre. Qui encore, de nos jours, peut, sans passer pour fou, raconter qu’il a vu des lamas avec des têtes de femmes ?
Et c’est pourtant cette émotion panthéiste et un brin païenne qui donne aux chevaux et aux biches de Marie Laurencin le même regard qu’à ses femmes, les mêmes cheveux frisés et tombant qu’elle portait, elle, englobant dans un même amour calme et reposant, qui n’a pas plus à voir avec un monde mièvre et rose bonbon que Le vert paradis des amours enfantines de Baudelaire, hommes, femmes et animaux, bref la nature tout entière.

Il émane de la quasi-totalité des toiles de Marie Laurencin exposées au musée Marmottan une aura de sensualité innocente et d’amour universel qui repose de la pornographie quotidienne à laquelle nous a habituée notre époque.

Je comprends et j’envie les Japonais qui ont édifié un musée à cette artiste élégante qui représente pour eux l’art de vivre à la française. Celui, justement, que nous perdons peu à peu depuis quelques décennies.

Alors, laissons donc un peu de côté toutes les sciences et les experts qui nous expliquent à longueur de journée ce qui fait que nous sommes ceci ou devrions être cela pour nous abandonner à l’instantanéité de l’émotion, au simple plaisir de la contemplation et nous comprendrons que le bonheur n’est pas qu’affaire de pouvoir d’achat, de reconnaissance de son appartenance minoritaire ou de victoire électoraliste, mais avant tout d’oubli de soi et de communion extatique.

Marie Laurencin 1883-1956, jusqu’au 30 juin 2013 – prolongation jusqu’au 21 juillet
Musée Marmottan Monet, 2 rue Louis-Boilly, Paris 16e
www.marmottan.com
Entrée : 10€ – TR 5€
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h – Nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Photos :
Le baiser, Huile sur toile 79 x 63 cm Musée Marie Laurencin, Nagano-Ken, Japon
Marie Laurencin, Le baiser, vers 1927 © Adagp, Paris 2012

Danseuses, Huile sur toile 65 x 81 cm Musée d’Art Moderne de la ville de Paris
Marie Laurencin, Danseuses, vers 1939 © Adagp, Paris 2012

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