Suite et fin de la visite de « L’arbre de vie »

Par Christine Sourgins*

/Une vidéo de Jean-Claude Ruggieri montre un arbre déraciné, suspendu par le tronc, sa motte de terre équilibrant le feuillage…  « Je ne vois pas chez les sculpteurs qui m’intéressent de geste qui ne soit pas violent » dit l’auteur. Pourquoi cette violence ? Pour «soumettre au spectateur une vision intégrale de l’arbre arraché à son paysage ».
Que cherche-t-on à nous faire croire : que personne n’ aurait vu de tempête, ni d’arbres déracinés ?

À l’extérieur, dans le jardin attenant, Mathieu Mercier, avec son « commissariat pour un arbre », propose à des artistes de réaliser des nichoirs, c’est ludique et coloré en diable mais assez indigent formellement. Le public est invité à picorer, ça et là, un ou deux objets qui lui souriront. Ca ne mange pas de pain ; le nichoir qui rappelle une lunch-box de fast-food plaira aux enfants.

Plus militant, Bruno Serralongue photographie les bois près de Calais, refuge précaire des migrants. Ce sont des sujets traités par la presse, mais Serralongue reconfigure les codes de la photo de reportage, (cadrage, agrandissement différents etc) et se targue de ne pas produire d’image utilisable par la presse mais ce faisant… il en produit d’utilisable par les musées et les catalogues ! Sa stratégie de prise de vue casserait la logique de camp dit-il (« dans quel camp es-tu, presse, ONG, organisateur ? » ). Oui, mais comme ce parti pris risque fort d’esthétiser la misère…le texte de la revue « Question d’artiste », qui sert de catalogue,  conclut sur un appel à la lutte :  la logique de camp, mise à la porte, rentre par la fenêtre…

Henrique Oliveira travaille avec du bois récupéré à partir des matériaux issus des bidonvilles,  il recompose ainsi  des structures qui paraissent organiques. Le catalogue montre une photo de « Desnatureza » œuvre puissante : un tronc noueux s’extirpe du sol et se diffuse dans le plafond, comme si cet arbre mutant enlaçait la terre et le ciel. Bravo, voilà une œuvre qui mérite le déplacement ! Mais accourrez sur place et c’est la déception. La pièce montrée est loin d’avoir la même force ascensionnelle, elle ressemble à une « croix flapie », une croix ventrue et bien fatiguée : symbole cruel d’un christianisme aussi exsangue que ventripotent ? Les Bernardins, pour qui l’œuvre fut conçue sur mesure,…pudiquement ne commentent pas. On-t-ils seulement réalisé la leçon qui leur est faite ? Pas sûr, quand on est énamouré d’AC, la lucidité est en berne…

L’oeuvre la plus aguicheuse à l’œil est le triporteur d’Anthony Duchêne  qui véhicule gaillardement un arbre. L’objet semble ludique et fantastique : sur ses branches, des nez sur pattes d’oiseaux jouent  le rôle de « goutteur » et veillent sur des arômes volatiles.  Cet objet hybride doit beaucoup à l’habituel travail de l’artiste sur le goût et les arômes. Il  ne fait pas mystère de ses intentions, avec l’habituel cynisme des artistes duchampiens, et n’hésite pas à dire que « les règles sont tronquées » que « la notion de leurre est récurrente dans son travail », d’où l’association arbre-arôme-triporteur « proposant une dégustation olfactive fictive faisant référence aux véhicules des bonimenteurs »

Dans bonimenteur, il y a menteur…cqfd !

Ceux qui voudront voir traiter le sujet honnêtement traité (rappelons qu’aux Bernardins une bonne partie des artistes ne traitent pas le sujet) iront à Neuilly (au  tout nouveau Théâtre des Sablons qui expose  «L’arbre qui ne meurt jamais »). Incontestablement, il vous en coûtera 8 euros, les propositions sont plus pointues qu’aux Bernardins : depuis des œuvres qu’on classerait plutôt dans l’art brut ( De Villiers) aux grosses pointures, telles Yves Klein ou Giuseppe Penone. Mais si certains déçoivent (Goldsworthy célèbre « landarteur » est mieux inspiré d’ordinaire), d’autres surprennent, tel le japonais Susumu Shingu et son ballet de feuilles d’ombres autour de son arbre flottant. Le niveau de la peinture n’est pas relevé par les « Deux arbres généalogiques » de F. Remond qui imite à la perfection le style des grandes sections maternelles. Mais ce qui  ressort de la visite est une vision statique, d’un arbre souvent artificiel desséché/ desséchant, très peu d’œuvres restituent l’exubérance végétale ou sa fécondité. Au fond cet « arbre qui ne meurt jamais » c’est… l’arbre déjà mort…!

L’arbre est le sujet fétiche de Penone, qui plante ses végétaux de bronze ou de marbre à Versailles ;  n’intervenant « que » dans les jardins (ceux-ci étaient quand même pour Louis XIV aussi importants que le Palais, au point que le roi rédigea un guide de visite).  D’un artiste issu de l’Art pauvre, on pourrait s’attendre à de la modestie, de la finesse dans le « dialogue » avec un chef-d’œuvre du patrimoine, plus en tout cas, qu’avec  les artistes tapageurs qui l’ont précédés…Pas sûr que le pari soit totalement réussi : voilà notre « pauvre »  artiste  pris de la folie des grandeurs et plantant une sculpture en plein milieu de la grande perspective, selon la technique habituelle des artistes d’AC, celle du coucou :  faire son nid dans celui des autres,  bien au milieu. Choisir d’occuper cette place facile, c’est s’avouer m’as-tu-vu plutôt qu’artiste…

Les fanatiques du sujet pourront encore aller à Marseille au Centre Régional de la Méditerranée (CeReM) Les photographes Jean-Christophe Ballot et Joseph Rottner proposent « Arbres. Puissance et frémissements ».

Ayez cependant une pensée émue pour le contribuable ; Marseille, capitale culturelle, jouit là d’une  structure qui fait doublon avec le Mucem,…( Musée des civilisations de la Méditerranée) inauguré récemment.
Une dette ? Quelle dette ?

Exposition L’Arbre de Vie aux Bernardins –
20 rue de Poissy – Paris 5e.
Jusqu’au  28 juillet ; entrée libre (heureusement !).

«L’arbre qui ne meurt jamais »
Théâtre des Sablons
62-70 avenue du Roule
92 Neuilly
Jusqu’au 30 juin.

Photo : Jean-Claude Ruggirello, Jardin, 2006 – Courtesy galerie Claudine Papillon – Photo JCR

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