Olivier Maulin : Castigat ridendo mores

/Le monde dans lequel nous vivons est grotesque et ne mérite pas mieux qu’on en rie, pense Olivier Maulin qui plante à chaque nouveau roman ses petites pointes corrosives dans le grand corps malade du Léviathan sans visage dont l’ombre s’étend chaque jour un peu plus sur notre morceau d’univers. Donc, tourner en dérision les dogmes de ce monde qui déraille et pondre des personnages qui ne sont jamais moins sérieux que lorsqu’ils le croient et jamais aussi sages que lorsqu’on les pense fous ou marginaux, c’est à quoi s’astreint avec succès Olivier Maulin depuis que son premier roman est paru en 2006.

Alors, en ouvrant Le bocage à la nage, dernier-né de Maulin, on pourrait se dire qu’on les connaît déjà tous ses personnages sublimes, grotesques, déclassés, nihilistes, décroissants, fantasques, alcooliques, ratés, et qu’il faudrait changer de registre (certains le pensent), mais lorsque Maulin change de registre et pastiche avec brio le roman policier comme dans Le dernier contrat, ses lecteurs le boudent.

Puis surtout, avec ce septième roman, il nous fait comprendre à quel point l’on devient nostalgique de son monde et de ses personnages quand la fin du roman nous force à les quitter ; combien l’on aimerait que ce monde qui ne se prend pas au sérieux mais qui l’est bien davantage que le nôtre, qui glose moins sur la poésie et les arts mais en est bien plus habité, où les grands rêves alcooliques prennent forme le lendemain, combien l’on aimerait y habiter et que les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards, les bêtes et les drôles d’esprits qui y vivent soient vrais.
On partagerait bien une bière avec Cro-Magnon dans sa caravane puante, on s’installerait bien quelques jours dans le manoir de Monsieur le Comte, on participerait volontiers à cette grande buée qui libère les esprits, entre Pote-Jésus, son âne Ali Baba, l’irascible bonne mam’zelle Coco, le vendeur raté de monte-escaliers électriques, Philippe Berthelot, Hélène Montfort, son ex collègue, maîtresse par inadvertance et néanmoins ennemie, poétiquement surnommée Miss Côtes du Rhône et la belle Ninette, décroissante naturiste, végétarienne et libre-échangiste de son corps.
Et l’on ne serait probablement pas en désaccord avec M. le Comte, seigneur du Haut-Plessis et alchimiste entêté, quand il pense que « La réalité de l’être est bien plus profonde que le monde des corps. » Et que « l’invisible est un facteur tout aussi réel que les données physiques. » Que « l’homme moderne est un type humain dégradé, incapable de saisir l’expérience dans sa totalité. » Ou encore que c’est une prodigieuse erreur que « d’identifier l’intelligence à la raison », en faisant fi de la connaissance intuitive.

Donc, si le rôle de la comédie classique était de châtier les mœurs par le rire, Olivier Maulin est un peu le Molière de notre civilisation déclinante et il nous donne à comprendre et à voir avec une acuité souvent bien supérieure à tous les ouvrages sérieux et scientifiques, le mal dont nous souffrons et le remède qu’il nous faudrait : un petit retour aux choses de la vie qui ont longtemps fait le bonheur des hommes et des femmes : l’alcool joyeux et convivial, le partage de ses biens, surtout lorsqu’ils sont maigres, l’amour sous toutes ses formes, la bonne chère et le rire.
Trop évident, trop facile, me direz-vous. Peut-être mais la littérature a d’abord pour rôle de nous faire rêver et de nous façonner par le rêve et l’imagination, et il n’est pas interdit de rêver de choses simples et plaisantes et de rire de ce rire que convoquent la farce et la bouffonnerie, plutôt que du rire moqueur et sardonique qui fleurit à longueur d’émissions sur toutes les faces télévisées d’aujourd’hui.
La morale d’Olivier Maulin, s’il y en avait une, serait peut-être dans le fond celle-ci : pourquoi inventer un monde compliqué et tordu lorsqu’on peut vivre simplement et bien plus s’amuser ?

Bref, nous ne saurions trop vous conseiller cette lecture pour l’été, qui vous ravira mille fois plus que tous les magazines niais et les romans à l’eau de rose qu’on se croit un devoir d’emporter à la plage et dont on sait par avance ce qu’ils renferment de stéréotypes et de débilité.

Olivier Maulin, Le bocage à la nage, 264 pages, éditions Balland.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.