Que ma joie demeure !

/Gélodacrye !
Non seulement c’est une idée de génie, mais la réalisation de celle-là est tout aussi géniale que son géniteur et interprète. « Chiotte ! » Voilà sur scène un homme coincé. Jean-Sébastien Bach se voit contraint par  Frédéric II, de donner des leçons de musique à un public de ploucs. C’est, en très gros, l’histoire de ce spectacle. Ce serait tout, si la fulgurante leçon n’était pas portée du bout du cœur jusque dans les moindres détails par Alexandre Astier. Magnifique dans l’alchimie subtile entre sa ferveur pour Bach, et sa franchise de ton !
Parce que c’est vrai que Bach pour les nazes, c’est franchement de la confiture aux cochons.

La grandeur n’est ni une question d’époque ni une question de langage. On n’est jamais choqués d’entendre Bach en perruque parler comme nous. Non.
On est bien plus occupés à toucher du doigt la grâce, qui s’incarne en un personnage grand, fier, et insupportable ! Le propre des génies au fond. Un peu comme ces professeurs qui nous torturent mais dont on est tellement jaloux du savoir qu’on est prêts à tout, pour qu’ils nous en refilent un peu, dût-on le copier cent fois.

C’est un spectacle construit, composé. Remarquez, on est dans le thème, puisque la composition d’une œuvre, c’est toujours un peu une question d’harmonie, de bon dosage entre les choses, les sons, les couleurs, les parfums. Et, sur tout cet édifice, vient se greffer le  comique dont la base est le décalage, et l’alliance des choses qui ne vont pas du tout ensemble : l’image mythique de musicien divin est dérangée, bousculée par sa manière désinvolte de s’adresser au public ou à Dieu. Parce que Bach et Astier, c’est une sorte d’amitié à travers les âges. Un peu comme Bach avec Dieu. C’est situé quelque part entre l’amour-vache, et la complicité déstabilisante. Et en même temps, il y a de la reconnaissance car la musique de Bach est  divine, inspirée par les anges, insufflée par la grâce.

En fait Que ma joie demeure est un spectacle parfaitement littéraire, et plus généralement parfaitement artistique. Car la capacité de faire des mélanges, c’est le propre de celui qui compose, de celui qui créé. Astier, pleinement créateur et pleinement interprète, a taillé son chef-d’œuvre œuvre au millimètre près : il alterne le discours et le récit, mélange l’époque et le langage, au risque de sembler baroque, maîtrise le solfège, le clavecin, la viole de gambe ! C’est un foisonnement d’art et de génie, qui peut, on ne se le cache pas, rendre nerveux ou même un peu jaloux.

Mais le mélange le plus fascinant c’est celui qui touche l’humanité elle-même. L’alchimie du rire et des larmes : la gélodacrye. Ne dites pas que c’est un truc de snobs, même vous, vous allez comprendre. La gélodacrye c’est le mélange de ce qui fait rire avec ce qui fait pleurer. Ce n’est pas aigre-doux, c’est beaucoup plus subtile; ce n’est pas une farce lourde après un chagrin, c’est le chagrin lui-même, consolé, soigné, apaisé par l’humour.

Le meilleur exemple qu’on puisse en donner, c’est la répétition de l’Aria avec son orchestre de bras cassés. L’Aria est à pleurer de beauté, évidemment ; les notes disent à la fois une solennité tendre et une émotion forte. Et, subtilement, sur cette boule d’émotion qui ravagerait le cœur le plus aride, arrivent les pitreries du maître de musique, que la médiocrité de ses musiciens consterne. Blasé et désagréable, cynique, le sarcasme qu’il affiche depuis le début, montre qu’il ne croit pas deux secondes au progrès ; pourquoi ? Mais parce que réussir l’interprétation de l’œuvre d’un génie est aussi surréaliste ou surnaturel que le génie lui-même.
On pourrait croire que ce n’était pas le genre du gars de composer. En fait il n’a fait que cela et dans tous les sens du terme. Composer, arranger, ménager. Il a fait toutes les combinaisons possibles : son génie et sa famille, son énergie et son chagrin, sa joie et ses deuils. La paternité !
On savait que Bach avait eu des paquets d’enfants ; Astier fait le portrait d’un père aimant et fragilisé, handicapé par cet amour-là. Et c’est peut-être là qu’il livre peut-être sa plus belle partition d’acteur, offrant avec une infinie justesse ce personnage  de père démuni, terrassé, mais si drôle ! Gélodacrye je vous dis !

Voilà pour résumer, c’est plus intelligent, plus brillant, plus tout, que tout ce qu’on a vu ces dernières années.
Astier est le cœur battant de tout un spectacle qu’il  écrit, conçoit, et porte de toutes ses forces. Il signe aussi la réalisation de la captation qui a l’immense avantage de le saisir dans ces expressions de visages.
Sachez, vous les puristes qui détestez le théâtre filmé, qu’il sera les 19, 20, 21 et 22 septembre à la Cité de la musique. Soyez là pour ce come Bach, c’est indispensable. Parce que le beau, rend bon.

Pratique :

Que ma joie demeure !
Spectacle écrit et interprété par Alexandre Astier.

Les 19, 20, 21, et 22 septembre 2013 à la Cité de la musique
221 avenue Jean Jaurès, 75018 Paris
Tél : 01 44 84 44 84

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