Cœur de française

/À l’occasion de la sortie de Coeur de Française, éloge en creux d’une artiste française, Chloé Perrier…

Chloé n’a peut-être pas encore toutes les qualités des grandes chanteuses françaises. Cependant elle a l’immense mérite de ne pas accumuler non plus tous les défauts des petites et mauvaises adeptes du crin-crin à la mode, celles qu’on aurait eu honte de ne pas connaître quand on avait treize ans, et qu’on a honte d’avoir connues quand on en a un peu plus. Vous me direz que je suis un peu dure, moi je vous répondrai qu’éviter tous ces écueils, et bien, ce n’est pas si évident. Alors, que pour cela au moins, Chloé soit un peu remerciée.

D’abord la jeune femme a la bonne idée –ou l’humilité- de se mettre à l’école des anciens. Elle signe un seul titre qui passe du coup un peu inaperçu, mais au moins, elle, elle ne nous assomme pas de dix chansonnettes qui parleraient toutes des mêmes choses –les amours et les ruptures, tous des ordures t’imagines même pas comment j’ai les boules !-  comme le fait Joyce Jonathan qui nous vend sa daube avec un sourire effarouché en ayant l’air de dire « les mêmes accords, d’accord ! Mais pas dans le même ordre ! ») comme si ça nous rassurait. Ensuite elle évite le sucre. Je m’explique : sa voix est belle et brute, elle ne la tord pas dans tous les sens, elle ne l’édulcore pas pour qu’elle soit suave, à la différence de tout plein de minettes, qui forcent sur l’aspartame, alors même qu’elles avouent fantasmer sur les voix sexy des vieilles fumeuses. Elle n’a pas non plus la manie de ceux, qui sous prétexte qu’ils font des reprises, changent intégralement le rythme et puis l’air pourquoi pas. Ceux qui font se contorsionner le chant d’origine pour le faire rentrer dans les cases de leur modernité musicale. Chloé montre une certaine rigueur : si elle module le rythme, elle ne fait pas n’importe quoi non plus.

Là où je tique, c’est dans les choix. D’abord c’est touchant de se désigner comme un Cœur de Française. Oui c’est touchant, et même joli. S’inscrire dans un certain héritage… Mais qu’est-ce qu’un cœur de française ? D’un côté si c’est uniquement sa playlist frenchie, cela n’a pas grand intérêt. D’un autre côté, Chloé Perrier fait ce qu’elle veut. D’un autre côté encore, on peut dire ce qu’on pense. On va le dire du coup, mais pour cela, il faut se demander honnêtement : qu’est-ce que la chanson française ?

À mon avis, c’est à la fois Gavroche et Fanchon, c’est un peu Paris et la Seine, c’est un soupçon d’Apollinaire et beaucoup de Clément Marot, ça parle d’amour en argot, c’est un peu littéraire et populaire surtout. La chanson française a de belles histoires à raconter, mais trop ne figurent pas au programme de Chloé Perrier. On attend une familiarité qui ne vient que par touches. Une très jolie reprise du Jardin d’hiver, et l’interprétation de l’eau à la bouche de Gainsbourg, voilà les deux morceaux où se concentrent avec le plus d’intensité, l’élégance audacieuse de ce cœur de française. Mais elle a quand-même oublié Brassens et Piaf qui en ont fait battre tant d’autres. Et Brel !

–    Brel ? Cœur de française, on t’a dit, pas cœur de flamande !
–    Oui mais enfin tout de même !

Et s’il y a bien une faute, qu’on ne peut ni vraiment reprocher ni vraiment pardonner, c’est bien la faute de goût. Comme une tâche de gras sur une nappe immaculée, la chanson le coq et la pendule détone, au milieu de la finesse qui émane de l’album. Si j’ai l’âge d’écouter Brel et Brassens, j’ai l’impression que je n’aurai jamais celui d’écouter Claude Nougaro et Lio.

Mais Chloé a une belle voix, une sincérité réelle, et une légèreté dans l’accompagnement qui donne une tonalité nouvelle à ces reprises. On dira simplement que nos cœurs de françaises ne battent pas tout à fait au même rythme.

Marguerite Kloeckner

Photo : JF Aloïsis

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.