Pour cent briques t’as plus rien !

Par Maxime Cumunel*

/Au risque de décevoir les admirateurs d’Anémone, nous ne parlerons pas ici du chef d’œuvre cinématographique sorti en 1982 qui inspire le nom de cette chronique, mais de la grande braderie que connaît notre patrimoine : des vignobles vendus à des Chinois, des châteaux achetés par des Russes, toute la France serait à vendre au plus offrant.

« Nous sommes devenus locataires », me disait un ami dont les locaux professionnels – près des champs Élysée – ont été rachetés récemment par des investisseurs des Émirats. Devenir locataire de leur propre pays, est-ce là l’avenir des Français s’agissant de leur patrimoine ?

Châteaux, fermes, manoirs, églises, abbayes, forteresses, vignobles ou ruines médiévales, la France regorge d’un patrimoine extraordinaire en qualité et en quantité comptant près de 100 000 édifices religieux et d’au moins autant de châteaux et manoirs, dont plus de 43 000 sont classés ou inscris monuments historiques. Tous coûtent cher à leurs propriétaires, privés ou publics (notamment pour plus de 40 000 églises que possèdent les communes), de telle sorte que chaque année plusieurs centaines de ces édifices sont cédés à qui daigne encore les acheter.
En effet, leur entretien représente un véritable défi pour des propriétaires, privés ou publics, victimes de leur vieillissement inexorable, qui engendre des coûts de plus en plus élevés, d’autant que va croissante la difficulté à trouver des restaurateurs de qualité à des prix supportables (de nos jours, il est plus difficile de trouver un bon charpentier agréé MH en Berry qu’un plombier à Paris hors de prix). Ils sont également victime de la baisse conjointe des budgets publics alloués au patrimoine et de l’érosion des patrimoines privés.

Certes, le fait n’est pas nouveau : il y a toujours eu des ventes de châteaux, de vignobles ou de biens religieux. Certes, il y a encore des acheteurs passionnés qui restaurent ces édifices avec talent et abnégation. Néanmoins, beaucoup des acheteurs actuels présentent une double caractéristique qui représente à long terme un danger pour notre patrimoine.

D’abord, ils en développent une vision commerciale, transformant châteaux en hôtels et églises en fast-food ou – un peu à la façon des bandes noires qui utilisaient les monuments comme carrières de pierre et sont responsables de la destruction de centaines de monuments majeurs de l’histoire de France – en lotissements ou immeubles de bureau. Voici tous tracés l’avenir de l’église St-Rita à Paris ou de la plupart des anciens hôpitaux de notre pays.
Enfin, ces nouveaux propriétaires s’enracinent moins durablement que leurs prédécesseurs – une fois sorti d’une famille, un château est revendu, paraît-il, tous les cinq ans ! Ceci suppose des changements très réguliers à la tête de ces édifices vendus, transformés, puis revendus, à nouveau transformés, puis revendus avant d’être fermés au public ou abandonnés à défaut d’acheteur, par un propriétaire trop souvent absent.

Alors que la crise s’amplifie et que l’État se désengage de la question patrimoniale, la liste des monuments à vendre s’allonge de jour en jour. Si les ventes à des passionnés arrivent encore de temps en temps, les vieilles pierres restent souvent des années sur le marché avant de trouver un acheteur qui leur donnera des ailes, d’autant que les prix de ces trésors de pierre sont encore élevés. Si élevés même que les 850 briques exigées par les braqueurs interprétés par Gérard Jugnot et Daniel Auteuil ne suffiront plus à acheter une ile paradisiaque – elles permettront au mieux l’acquisition d’une modeste ruine auvergnate – et encore moins à en assurer l’onéreuse restauration.

Pour les promoteurs aussi les temps sont durs : heureusement, dans notre pays il reste possible d’acheter une chapelle et des milliers de mètres carrés de terrain en plein centre d’une ville pour une bouchée de pain et de la lotir à loisir, avec l’accord des autorités municipales.

Avant d’hurler au pillage lorsqu’un Chinois, d’ailleurs passionné, acquiert un prestigieux vignoble, soyons vigilants sur l’usage que nous faisons de notre patrimoine et luttons pour préserver ce fragile écosystème : nous sommes souvent complices de sa démolition. Comme le prouve Molinaro dans Pour 100 briques t’as plus rien, les apparentes victimes sont parfois de redoutables coupables !

*Observatoire du Patrimoine Religieux
www.patrimoine-religieux.fr

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