Impossible amour ?

/Charles Consigny a une écriture vive, douce et triste à la fois pour décrire, dans L’âge tendre, dont le titre sied parfaitement à l’humeur amoureuse du narrateur qui semble très peu éloigné de l’auteur, une jeunesse dont les rapports au monde sont pour le moins désabusés.

Drogue, alcool, partouzes, fric, antidépresseurs,  sont les principaux prismes à travers lesquels cette jeunesse, que l’on aurait pu qualifier de dorée si elle n’était façonnée par tant de malheurs, de désespérance et de tristesse, appréhende un monde sur lequel elle ne se fait plus aucune illusion et dont elle espère simplement tirer le plus de profit immédiat. Hédonisme forcené, « perte de valeurs », jeunesse désenchantée, on se dit que tout cela a été écrit maintes fois.

Ce que Charles Consigny apporte dans son livre, c’est une immense tendresse et une empathie presque infinie pour des personnages superficiels qui sembleraient à première vue ne pas le mériter. Qui sommes-nous pour juger ? semble-t-il nous dire.

Il y a dans ce roman une quasi absence de critique à l’égard des modes de vie des personnages et de leurs familles, une absence de révolte, de haine et de violence que l’on rencontre rarement et qui rappellent les débuts de Renaud Camus, notamment son Journal de Travers. Avec l’œuvre de Renaud Camus, notamment telle qu’elle s’est développée à ses débuts, où la retranscription minutieuse de la vie quotidienne dans ses infimes détails était à peu près dénuée de tout propos critique, il y a plus d’un trait commun. L’amour des belles choses et des hommes, l’insatiable quête du désir amoureux, le narcissisme que met au jour le besoin de se raconter et de se dévoiler sous toutes les coutures, la « malédiction homosexuelle », comme l’appelle Charles Consigny, sont autant de thèmes qui les rapprochent.
Cette « malédiction homosexuelle », qui occupe une bonne partie du roman, relie aussi Consigny à des auteurs plus anciens que cette question préoccupait beaucoup : Gide, Proust, Wilde par exemple, et évite à son roman de sombrer dans une redite plus ou moins heureuse d’un roman de Beigbeder ou de Houellebecq.
Y a-t-il, dès lors, une « écriture homosexuelle » ? C’est un propos très difficile à tenir, et pourtant, on ne peut s’empêcher de songer qu’il y a chez ces auteurs une douceur mélancolique et constamment amoureuse qui leur est spécifique et dont la malédiction dont parle Consigny est peut-être la cause.
« Les sociétés progressistes, dominantes en Occident, nient la malédiction intrinsèque de l’homosexualité. Si les homos ont voulu le mariage gay, par exemple, c’est parce qu’ils savent bien que le bonheur est hétérosexuel, qu’il réside dans la vie de couple hétérosexuelle, avec des enfants, une maison, du travail et la possibilité que le désir ne s’essouffle pas avec le temps. […] Le mariage gay, comme les dispositifs médicaux permettant d’avoir des enfants, c’est une tentative désespérée d’atteindre le bonheur réservé aux hétéros, et c’est parce que c’est une illusion que les homos ont tant tenu au mot de mariage, refusant celui d’union civile proposé par la droite. »

On pourrait croire qu’à notre époque, dans un Paris branché, un jeune homme homosexuel, éduqué et cultivé aurait tout pour être heureux. Ce serait sans compter sur le manque affectif, l’impossible amour qui est le signe de cette malédiction et que ni l’alcool, ni les drogues, ni la réussite professionnelle et sociale, ni les multiples partenaires sexuels ne sauraient combler. La quête désespérée d’une liaison amoureuse homosexuelle identique à celle que vivent la plupart des couples hétérosexuels, tel est le leitmotiv du roman tendre et mélancolique de Charles Consigny, qui est assez bien résumé par cette sentence cruelle de clairvoyance et de banalité, qu’énonce le narrateur à propos de l’ami dont il est désespérément amoureux : « tout ce que je veux, au fond, c’est qu’on aille à Ikea. »

Charles Consigny, L’âge tendre, éditions JCLattès

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