Le peintre en bâtiment qui se prenait pour un artiste

/« Donner moins à voir, pour penser plus »
Bernard Brunon a créé une entreprise de peinture en bâtiment considérée comme activité artistique : voilà une bonne idée. Un centre d’art déménage-t-il (comme actuellement  la galerie des Tourelles à Nanterre) ?

–  Allo, Bernard ? Pouvez-vous rafraîchir les murs, rendre les lieux présentables ?

Une galerie d’AC vient de perforer ses cloisons avec son dernier accrochage ?

–    Allo, Bernard, pouvez-vous nous reboucher les trous, pour la suivante ?

Bernard Brunon, qui se vante de ne séparer ni l’artiste, ni l’artisan, ni l’entrepreneur, a trouvé une « niche » comme on dit en termes socio-économiques.

La peinture au sens littéral

Certains jubilent  rappelant que déjà « l’artiste du XVIe siècle est lié à la commande » et de célébrer «  un art ancré dans le quotidien ». Bernard va sus aux moulures et aux lambris, repeint les murs comme d’autres enfoncent les portes ouvertes mais on nous assure ce c’est un vrai peintre car « la peinture reste avant tout un recouvrement », une « performance à large échelle ». Il sait « peindre dans l’acte fondateur de la peinture, avant même la fresque, et après l’abstraction » car «  la toile renverrait encore trop à l’histoire que peut raconter le tableau, aux figures de la mimesis, à ses avatars ». Reconnaissons-le, à côté des monochromes de  Bernard, le carré blanc sur fond blanc de Malevitch est d’un kitsch !

Bernard va donc à l’essentiel de la peinture qui est (je cite toujours)  « aller au bord »,  or le bord évoque …Debord ! Guy Debord prophétisa Brunon, en écrivant dès 1961 : «C’est dans le royaume du marginal et de l’insignifiant que commence toute critique du quotidien et donc toute critique de la réalité sociale». Ah, une critique ? Laquelle ? Celle des centres d’art dispendieux du bien public ? Celle du cynisme des « artistes » du circuit d’AC  qui concurrencent les petits artisans locaux ? Car voilà une «Entreprise générale de peinture», pour qui la seule intervention artistique pertinente c’est l’intervention  économique !
À quand les artisans boulangers, les maître-charcutiers, subventionnés par les services culturels municipaux ?

En tout cas, la critique ne paraît pas très assumée : Brunon signe ses murs de la même couleur que celle de la surface murale. L’artiste qui opère aux Tourelles de Nanterre aurait-il l’humilité des fresquistes romans, lui qui souligne modestement  que sa transformation en successeur de Léonard ne s’est pas faite en un jour ?  Au passage, ayons une pensée émue pour ce pauvre Claude Rutault qui peint depuis des lustres des toiles de la même couleur que le mur : un artiste officiel est toujours ringardisé par plus conceptuel que lui.

Nous aurons sans doute, lors du vernissage, un grand « moment de socialité » selon le jargon de l’AC. Est-ce qu’on aura une vidéo de ce énième Nanar contemporain ?  Pour que nos descendants puissent comprendre avec quoi villes, départements, régions et ministère nous ont joyeusement endettés. Comprendre aussi que, lorsqu’on déplore la disparition de la Peinture, les sbires de l’AC protestent et citent ces purs génies du pinceau.
Car le mot d’ordre de Bernard Brunon, « moins il y a à voir, plus il y a à penser », est un credo iconoclaste qui jette l’opprobre sur la Peinture dès qu’elle refuse de s’anéantir dans le minimalisme conceptualisant ou le « work in process », pour qui le processus (et le discours) compte plus que le résultat.

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