Les vies minuscules de Marie-Hélène Lafon

/C’est toujours avec plaisir qu’on lit un texte de Marie-Hélène Lafon, qui est sans doute l’une de nos romancières les plus originales, bien qu’une des plus discrètes et des plus apparemment classiques. Après Les Derniers Indiens, L’annonce, Les pays, elle continue d’explorer dans Joseph ce que Pierre Michon a magnifiquement nommé les vies minuscules.

La vie de Joseph est celle d’un homme de ferme, tout à fait commune mais à laquelle la langue poétique de Marie-Hélène Lafon donne le relief, la vérité et l’actualité qui l’extraient de l’oubli où elle serait sinon tombée, parmi ces milliers de vies semblables d’hommes de la campagne française, sans bruit, sans histoire extraordinaire, sans fracas. Marie-Hélène Lafon peint, à la manière du peintre Millet, une de ces vies figées dans un décor qui semble immuable et qui pourtant change, qui est même constamment au bord du basculement. Elle se place dans la longue tradition des portraitistes et son Joseph pourrait aussi bien être l’un de ces portraits que l’on trouve dans de vieilles maisons de campagne et dont on se prend à imaginer la vie de celui qui est représenté sur la toile.

Il y a une grande pudeur dans ses portraits et toujours quelque chose qui raccroche ses personnages à une histoire, à des semblables, et qui fait que, malgré la similitude apparente, ces êtres d’apparence insignifiante ont probablement plus de relief et d’originalité que la plupart de ceux qui prétendent à la différence et sont tous identiques.

« Il avait eu, comme un autre, son histoire d’amour. Il avait trouvé Sylvie au bal à Condat. Il allait sur ses trente ans, la mère était partie ; elle en avait parlé pendant cinq ans, depuis le mariage de Michel, et ensuite, en quelques mois, tout s’était précisé ; là-bas, à Croisset on attendait des jumelles. »

L’écriture est admirable de précision et de simplicité, en quoi l’on reconnaît l’exigence de la description flaubertienne. La littérature contemporaine est une jungle dans laquelle il est difficile de trouver son chemin, mais à force de ténacité, il arrive que l’on tombe sur des clairières lumineuses.

 

Marie-Hélène Lafon, Joseph, 140 pages, Buchet-Chastel.

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