Plaidoyer pour notre patrimoine par Hélène Carrère d’Encausse

""CultureMag est soucieux de vous alerter sur la défense de notre patrimoine. Nous sommes heureux de donner la parole à Madame l’Académicien Hélène Carrère d’Encausse à l’heure où il est en réel danger.

Par madame Hélène Carrère d’Encausse
Secrétaire perpétuel de l’Académie française*

Remise des prix du Grand Prix Pèlerin du Patrimoine (21 novembre 2014)

Je voudrais commencer par une remarque joyeuse, qui correspond à mon tempérament.

Nous avons en France la chance d’avoir un patrimoine exceptionnel. Pour le dire autrement, nous sommes l’un des pays au monde qui a le plus beau patrimoine. Où que l’on jette son regard, on tombe sur un trésor. Tantôt ce sont les flèches d’une cathédrale, tantôt c’est une toute petite chapelle.

Le patrimoine religieux constitue une part considérable de ce patrimoine. C’est un patrimoine qui remonte à la nuit des temps, témoin de la volonté des hommes d’accomplir un effort ensemble.

Ce patrimoine a également comme particularité d’être l’un des fondements de notre identité française et européenne. Avant d’être unifié depuis la Seconde Guerre Mondiale par la politique, notre continent a été par les échanges entre les hommes et leur volonté d’accomplir quelque chose ensemble, notamment en matière spirituelle et artistique.

Ce patrimoine est donc inestimable. Il nous définit, nous enracine, nous appartient à tous.

La remarque triste que je voudrais faire, qui est contraire à mon tempérament, c’est que ce patrimoine n’est pas toujours entretenu comme il le faudrait.

Le patrimoine doit faire l’objet d’attention, d’observation, de restauration. Nous avons en France l’habitude de considérer que l’État peut tout. Il est vrai qu’au cours de la longue histoire de France, les grands mécènes ont été avant tout les rois de France, c’est-à-dire ceux qui l’ont dirigée.

Ce temps est passé. Aujourd’hui, l’État se désengage. La richesse du patrimoine fait que l’État ne peut pas tout. Il fait porter ses efforts sur certains lieux propres à attirer les touristes ou sur des lieux dont les élus locaux sont capables de peser en faveur d’un effort particulier ou enfin sur des lieux ayant une valeur marchande. L’État a du reste parfois tendance à considérer le patrimoine comme une marchandise pouvant l’aider à rétablir ses affaires.

Il n’est pas question de brader ce patrimoine. C’est pour cela qu’il faut que d’autres se substituent à l’État. Nous vivons dans un monde où l’affaissement des États conduit à rendre aux individus leur place et à leur confier le soin de restaurer ce patrimoine, de veiller sur lui car il appartient à tout le monde.

Les mécènes ne sont pas toujours au rendez-vous. Le mécénat n’est pas une tradition française. Elle commence à se développer mais on n’instaure pas une tradition d’un seul coup, et précisément parce qu’il y a eu cette longue tradition étatique, les mécènes cherchent encore à définir la place qu’ils doivent occuper. Il suffit de regarder qui sont les grands mécènes du Louvre : d’abord les étrangers, au premier rang desquels, les américains.

Sauver le patrimoine relève des mécènes et de tous ceux qui en ont envie. Les initiatives particulières sont importantes, notamment celles des amoureux de ce patrimoine qui vont être primés aujourd’hui. Ces hommes et ces femmes ont le sens de ce qui nous définit, de nos richesses, celles qui vont bien au-delà d’une définition matérielle. Ces mécènes regardent une chapelle et se disent : que peut-on faire ?  C’est comme cela que vivra notre patrimoine et c’est essentiel, car il est notre histoire. Il nous unit.

C’est cela que nous fêtons ce soir grâce au grand prix Pèlerin du patrimoine. Nous célébrons ces héros, ces valeureux combattants de la défense et de la restauration du patrimoine français. Ils le font dans l’anonymat, dans la solitude, dans la difficulté mais ils accomplissent une tâche immense. Ils méritent notre gratitude. Merci de votre attention.

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