Hommage à Michel Jeury, écrivain du futur et du passé

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Michel Jeury, né à Rayzac d’Eymet en Dordogne, a disparu le 9 janvier dernier. Pour Serge Lehman, « la vie et l’œuvre de cet homme sont un mystère » (le Monde des livres, nov. 2010).
Fils d’ouvriers agricoles que rien ne prédestinait à devenir écrivain, il va publier à 17 ans son premier roman de science-fiction, Aux étoiles du destin. Un titre prémonitoire pour celui qui allait devenir un des plus grands auteurs de SF en France dans les années 70 et 80.
Hommage.

Il fut découvert, « inventé », par Gérard Klein qui publiera dans sa prestigieuse collection « Ailleurs et demain » chez Laffont en 1973, Le Temps Incertain, chef-d’œuvre novateur et retentissant. S’appropriant les techniques du Nouveau Roman, seul, vivant dans un petit village de Dordogne, Michel Jeury va révolutionner la science-fiction littéraire française et publier plus de 40 romans et une centaine de nouvelles de SF.
Mais c’est un homme qui aime remettre en question son travail d’écrivain: dans les années 1990, il rêve d’écrire son « roman paysan » pour témoigner d’une vie agricole en train de disparaître. Après son installation dans les Cévennes, dans un premier temps à la Bambouseraie de Prafrance puis à Anduze, Michel Jeury commence ce qu’il appellera son œuvre « naturaliste ».

À la manière d’Émile Zola, il accumule une grande documentation pour retranscrire le plus vraisemblablement possible les contextes historiques, sociaux, industriels, des régions et des personnages mis en scène dans ses récits en Dordogne, dans les Cévennes, en Limousin…
""Ces romans « populaires », rencontrèrent le succès et se vendirent jusqu’à 250 000 exemplaires.
Michel Jeury obtint de nombreuses récompenses dès la publication de ses premiers romans de terroir, comme le prix Terre de France pour Le Vrai goût de la vie en 1988 ou le prix Exbrayat pour L’Année du certif en 1995, par ailleurs adapté à la télévision.
Il serait faux de croire, malgré la coexistence de deux lectorats méconnaissant chacun la double nature de leur écrivain, que Michel Jeury fut un auteur se partageant entre deux littératures de genre, la science-fiction et le terroir.

Le futur, le temps, la physique quantique le fascinaient mais il était resté un homme de la terre, comme le rappelait Gérard Klein dans la préface du Livre d’or qu’il lui consacra :
« un paysan sans terre, fils d’ouvrier agricole et en passe de le devenir lui-même, qui n’avait guère quitté la Dordogne et qui, avec une intelligence fulgurante appuyée sur de petits faits, avait compris l’essence de ce monde complexe et dangereux de la fin du XXe siècle ».

Michel Jeury, comme il aimait à le dire lui-même, avait la tête dans les étoiles et les pieds sur la terre. C’était une formidable singularité littéraire, parfois paradoxale, qui le fit ainsi revenir à la SF en 2010 avec un roman couronné par le Grand Prix de l’Imaginaire, May le monde, cumulant manipulations temporelles et lexicales.
Cet écrivain attachant, humaniste, voulait retourner une dernière fois dans ses futurs colorés pour prouver qu’il était encore capable de se réinventer.

Il restera pour nous cet éternel jeune homme de 17 ans rêvant d’être écrivain et de rentrer dans le monde littéraire : après l’écriture d’une centaine de romans, les étoiles du destin veillent désormais sur Michel Jeury.

 Natacha Vas-Deyres*

En savoir plus 

http://blog.jeury.fr/
Pour aller plus loin : « Michel Jeury et l’écriture du temps », http://resf.revues.org/501

*Natacha Vas-Deyres, Présidente de l’Association des amis de Michel Jeury (L’AM-J), elle est également commissaire de l’exposition itinérante consacrée à l’écrivain, « Michel Jeury, entre Futurs et Terroirs », qui sera visible cette année au festival des Imaginales, du 28 au 31 mai à Epinal.
Elle est spécialiste de science-fiction, enseignante et chercheur en littérature française à l’Université Bordeaux Montaigne.
Elle a publié
L’imaginaire du temps dans le fantastique et la science-fiction en 2011, Les Dieux cachés de la science-fiction française et francophone (1950-2010) en 2014 aux Presses Universitaires de Bordeaux, et obtenu le Grand Prix de l’Imaginaire 2013 catégorie essai pour Ces Français qui ont écrit demain. Utopie, anticipation et science-fiction au XXème siècle (Champion, 2012).

Photos : © famille Jeury.

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