Sur les traces de Lermontov

En octobre dernier, on a commémoré la naissance deux siècles plus tôt, de Mikhaïl Yourievitch Lermontov.
Poète, romancier, dramaturge, peintre, il devait disparaître  le 27 juillet 1841,  à Piatigorsk, une aimable station thermale du Caucase. Par son œuvre, il est souvent considéré comme le plus grand poète russe après Pouchkine et la figure dominante du romantisme littéraire en Russie.
Pour avoir consacré principalement son œuvre à Saint-Pétersbourg et au Caucase on le qualifie de « poète du Caucase ».
CultureMag vous propose un voyage littéraire sur les traces de ce géant de la culture russe.

Par son œuvre, il est souvent considéré comme le plus grand poète après Pouchkine, et la figure dominante du romantisme littéraire en Russie où il passe pour avoir ouvert la tradition du roman psychologique. Pour s’être largement intéressé au Caucase où il a passé plusieurs années de sa vie, il a été surnommé « le poète du Caucase ».
On sait relativement peu de choses de sa brève existence mouvementée, car on ne conserve de lui qu’une maigre collection de lettres et extrêmement peu de témoignages controversés sur sa vie. Je n’ai personnellement trouvé que deux biographies de Lermontov en français et encore sont-elles anciennes. Il faut croire que les Russes n’ont pas envie de partager avec nous leur grand poète romantique. Seule son œuvre est disponible en Français, chez différents éditeurs.
Il est vrai que sa brève existence n’a que peu d’intérêt, toute sa personnalité étant dans son art. Dans sa vie, les actes de bravoure militaire ont alternés avec les farces de potache, et les impressions de ceux qui l’ont rencontré sont très contrastées. C’est donc essentiellement par l’étude de celui-ci qu’on peut le découvrir. Pietchorine et le Démon, les « héros » de ses deux chefs-d’œuvre, par leur part d’autobiographie, permettent sans doute le mieux de dévoiler qui il était : un « enfant du siècle », aussi profondément romantique que russe. Sur Internet on peut toutefois voir des films romancés mais en russe seulement comme les nombreuses vidéos qui lui ont été consacrées.
Il descendait d’un officier écossais au service du roi de Pologne, George ou Youri Learmont, qui s’était installé en Russie au XVIIe, après avoir été prisonnier du tsar Michel Fiodorovitch Romanov au service duquel il se plaça.
Orphelin de mère à trois ans, et de père à dix-sept, Mikhaïl Iouriévitch – que ses amis appelait « Michel » – passa son adolescence, élevé par sa grand-mère, Yelisavetta Alexievna, née Stolipine, puis plus tard ses vacances dans le village de Tarkhany, maintenant Lermontovo (province de Penza). Aujourd’hui, la maison est devenue un musée qui lui a été consacré.

Séparé de son père par cette grand-mère possessive, il ressentit jusqu’à sa mort ce sentiment de « l’absence du père », au détriment de son caractère psychologique.
La nostalgie de son père, souvent évoquée le suivra jusqu’au terme de sa vie, au détriment du plaisir de vivre. On a dit que le duel fatal qui abrégea sa vie, fut peut-être un assassinat déguisé, mais ce fut sans doute un suicide déguisé, comme pour Pouchkine. « Si Lermontov, fils sans père, enfant sans virilité, n’avait pas supporté son impuissance ? – fait remarquer Dominique Fernandez – Il appelait la mort : elle est la fin de toutes les peines, écrit M.E. Duchesne.   [….] Je suis heureux ! un poison secret coule dans mes veines, une maladie cruelle me menace de la mort ! O Dieu, fait que je disparaisse ! Le mort ne connaît plus ni l’amour ni la douleur. Six planches l’enferment : il habite là, dans l’anéantissement, dans l’oubli : ni les appels de la gloire ni la voix ne troubleront la nécéssité de mon repos. (Duchesne, p.25.).
Il était également victime de la mauvaise influence qu’ont eu sur lui les écrits et la pensée de Byron. « Je m’ennuie le jour, je m’ennuie la nuit, je n’ai pas d’espérance qui me console, l’espoir s’est envolé à jamais. » (Duchesne, p. 25.)

Formé dans son enfance par des précepteurs français, le docteur Anselme Levis et le colonel Capet, deux prisonniers de guerre survivants de la « Grande armée »,  il fut marqué par le second  qui lui parlait sans cesse  de Napoléon comme d’un héros de la liberté tandis qu’un anglais, Winston, lui insufflait les pensées délétères de Byron.
De santé fragile, pendant plusieurs années, sur le conseil de ses médecins, sa grand-mère l’emmena faire des cures dans des stations thermales du Caucase dont les montagnes l’influencèrent beaucoup.

En août 1825, il commença des études régulières avec des professeurs de français et de grecs, tandis qu’un pédagogue allemand lui faisait  découvrir Goethe et Schiller. Très vite il sut parler couramment le français et l’allemand. Un professeur de littérature, Alexandre Zinoviev lui fit découvrir de nouveaux horizons en lui faisant étudier les écrivains russes de leur pays. Parallèlement il apprit à jouer de plusieurs instruments de musique et s’avéra en outre comme un peintre doué.

""À la rentrée de 1827, après avoir pu enfin aller passer des vacances chez son père, il alla s’installer avec sa grand-mère au 2 rue Malaïa Moltchanovka, à Moscou dans une maison que l’on peut visiter aujourd’hui dans le quartier de l’Arbat. Il  fut tout d’abord l’élève de la « Pension noble », comme avant lui Alexandre Griboïedov, jusqu’à sa fermeture en 1829.

Dans Le Monde de l’Art et des Lettres, René Cagnat a rappelé que « Michel » comme l’appelait ses amis, se révélait « doué aussi bien pour la musique que pour le dessin,  les mathématiques ou les langues ( ). Mais, dès l’âge de quatorze ans, sa grande affaire devient la poésie. L’adolescent semble y chercher comme une sorte de revanche à sa petite taille, à son manque de succès auprès des jeunes filles. Faute de séduire par le charme, il séduira par le verbe. Le jeune Lermontov passe donc ses nuits à écrire à la lueur d’une bougie et compose avec facilité des poèmes étonnants de talent et de maturité. »

Ses premiers poèmes, étaient encore très inspirés par Pouchkine et Byron dont il était un lecteur assidu, mais aussi Friedrich Von Schiller et Victor Hugo. Son style poétique ne tarda cependant pas à s’affranchir et Lermontov entama aussi un roman inachevé, Vadim (1832-34), où il prenait position pour les paysans opprimés.

De cette époque date entre autres : Automne (1828), Le Poète (1828), Le Prisonnier du Caucase (1828), Les Circassiens (1828), Le Corsaire (1828), L’Épouse du nord (1829), Mon démon (1829), Adieu (1830), Étoile (1830), La Voile (1831), Requiem (1831), L’Ange (1831), Pour un père et son fils, quelle épreuve fatale… (1831). A quoi il faut ajouter des pièces de Théâtre : Les Tsiganes (1829) Esquisses, Les Espagnols (1830), Des Personnes et des passions (en) (1830), L’Homme étrange  (1831). Les Tsiganes (1829).

Poursuivant alors son cursus, il entra en 1830 à l’Université de Moscou, dans la section des sciences morales et politiques, foyer militant de pensée libérale à l’époque de la réaction qui suivit la révolte des décembristes.

En juin 1832, il quitta l’université où il avait eu de fréquent heurt avec des professeurs avec qui il était en permanence révolté mais aussi avec ses condisciples il était en permanence révolté. Il n’était du reste pas aimé par ses condisciples qui lui reprochaient d’être désagréable. Il était individualiste et restait souvent seul dans son coin, ne prenant pas part à la vie étudiante.

Au cours de l’été 1832, il déménagea avec sa grand-mère à Saint-Pétersbourg, dans l’intention d’entrer à l’université en deuxième année d’étude, il ne put toutefois réaliser son dessein car il aurait du recommencer le cursus dès le début. Horrifié de devoir redoubler, il entra alors dans la prestigieuse école de cavalerie des Cadets de la garde après avoir passé brillamment les examens comme officier subalterne. Deux ans plus tard, ayant obtenu son diplôme, il sortit cornette du régiment des hussards de la Garde et rejoignit son régiment stationné à Tsarskoïé Sélo où il partageait un logement avec son ami Sviatoslav Raïevsky.
Pendant ses temps libres, il menait grande vie pendant ses heures de loisirs, grâce à l’argent que lui versait sa grand-mère, malgré son caractère sombre et instable, son goût pour la médisance et ses facéties qui le faisaient dédaigner, voir détester par certains. Il fréquentait la haute société, ses salons et ses bals. C’est à l’un d’eux qu‘il trouva l’inspiration de son drame Mascarade ou Le Bal masqué, écrit en 1835-1836, puis d’un roman inachevé, La Princesse Ligovskoï.
En 1832 à Saint-Pétersbourg, Lermontov s’essaya pour la première fois à la prose avec son roman Vadim, où il tentait d’évoquer l’histoire d’Yemelian Pougatchev en 1773-1775. Mais à court d’idées il ne l’acheva pas. Ce livre dans lequel il évoquait des scènes paysannes, a marqué un tournant important dans son œuvre qui fut désormais plus intrigué par l’histoire et le folklore que par ses propres rêves. Ainsi s’intéressa-t-il désormais au moyen-âge russe et au Caucase.

""Un tournant intervient dans sa vie lorsqu’il exprima en 1837, son désarroi à l’annonce de la mort tragique de Pouchkine, dans un poème passionné La Mort de Pouchkine qui fut adressé à Nicolas Ier. Dans ce poème il y dénonçait les courtisans qui selon lui avaient provoqué le duel fatal — que la victime avait en fait elle même provoqué. Il y proclamait aussi que si la Russie ne punissait pas les coupables, un second poète ne lui sera pas donné…
Ce poème lui valut une célébrité littéraire immédiate, ainsi que la sympathie des nombreux amis de Pouchkine. L’opinion publique le salua même comme l’héritier de Pouchkine, mais le tsar à qui on envoya une copie du poème sous-titré L’appel à la Révolution, prit très mal la chose. Il commença par déclarer le poète fou puis se ravisant, ordonna que le provocateur fût arrêté. Ainsi  Lermontov fut envoyé le 25 février en service actif dans le Caucase comme officier au Nizhegorodsky dragons.

Malgré la guerre qui y faisait rage, il fut heureux de retrouver les chères montagnes de son enfance. Il y peignit beaucoup et étudia la langue et les traditions du pays. C’est là qu’il composa Le Démon, son chef d’œuvre poétique dans le genre de la composition épico-lyrique, mais aussi Le Chant du tsar Ivan Vassilievitch et du hardi marchand Kalachnikov, le Boïar Orcha, inspirés de contes traditionnels russes, puis y entama son grand roman en prose, Un héros de notre temps où il se dépeint sous le nom de son principal héros, Pétchorine, sous les traits d’un malade du siècle.

De retour à Saint-Pétersbourg au bout de seulement six mois d’exil, il savoura sa gloire littéraire et se remit à écrire jusqu’à ce qu’ayant provoqué en duel le fils de l’ambassadeur de France il fut renvoyé au combat dans le Caucase où il participa aux batailles les plus sanglantes de 1840. Remercié par le tsar pour sa bravoure, il obtint deux mois de permission à Saint-Pétersbourg jusqu’à son retour dans le Caucase où l’attendait le général Kleinmichel.

Ainsi le 14 avril 1841, le cœur serré et empli d’un pressentiment de mort, Lermontov quitta Saint-Pétersbourg, ignorant qu’il ne lui restait plus que trois mois à vivre. Quatre ans après Pouchkine, il fut tué en duel le 15 juillet 1841 dans la ville thermale de Piatigorsk par son ami Nikolaï Solomonovitch Martynov qu’il avait offensé en se moquant de lui à propos d’une femme. Il mourut d’une balle en plein cœur, alors que le sourire aux lèvres, il avançait vers l’offensée, son canon de pistolet pointé vers le ciel. Il n’avait pas 27 ans.

Quand l’annonce de sa mort parvint à Saint-Pétersbourg, le tsar interdit qu’on divulgue sa mort considérée comme une trahison par son funeste exemple. Et l’interdit demeura naturellement longtemps, le duel étant naturellement considéré comme un fléau et un désordre dans la société, surtout quand le crime était avait été proféré par une célébrité.
C’est pourquoi ceux qui connaissaient bien l’écrivain et toutes les circonstances de sa vie n’écrivirent rien à son sujet. Il fallut quelques bonnes dizaines d’années avant que, vers la fin du XIXe siècle, la société russe commença à saisir la véritable dimension de la personnalité du poète, surtout dans les mouvements de gauche qui se développaient exponentiellement.

Jean-Bernard Cahours d’Aspry

PRATIQUE :

L’oeuvre :

Lermontov laissa une œuvre abondante et variée que l’on place généralement au sommet du romantisme russe. Elle comporte essentiellement des vers, dont les premiers remontent à son adolescence (poésies lyriques, poèmes : Le Démon, Le Novice, mais aussi des drames, comme La Mascarade et de la prose : Un héros de notre temps. Le romantisme de Lermontov exprime la révolte et l’amertume de toute une génération. Son inspiration fougueuse, la violence de sa lucidité, enfin les qualités plastiques et musicales de sa langue en font une des figures les plus hautes de la littérature russe.

Son roman Un héros de notre temps, publié au printemps 1840, connut connaît un succès immédiat. L’écrivain y dépeint la tragédie de la jeunesse de son époque ; libérale et instruite, insatisfaite de la stagnation de la société, consciente de l’impossibilité de toute révolte, en considérant dès lors, la vie comme futile. Cet ouvrage romantique, le premier roman psychologique russe, a valu à Lermontov d’être considéré en Russie comme un des fondateurs du réalisme, avec Nicolas Gogol dont Les Âmes mortes furent publiées en 1842. De cette époque datent également Le Novice, Le Bateau fantôme, Nuages, Le Chevalier captif (1840), Le Démon (1841) ; Le Prophète, Le Rocher, Ma terre natale, Tamara, Le Pin, Adieu Russie, pays crasseux, La Princesse des mers, Valerik en 1841.

À lire :

Il n’existe actuellement aucune biographie de Lermontov en français, une langue qu’il parlait parfaitement. Ses amis l’appelaient d’ailleurs « Michel ».

Le Monde de l’Art et des Lettres (lettrelasaisonrusse@gmail.com) lui a toutefois consacré deux importants articles biographiques, dans le n° 56, Lermontov et le Caucase : la révolte et l’absurde, par René Cagnat, et dans le n° 57, Hommage à Mikhaïl Youriévitch Lermontov à l’occasion du centenaire de sa naissance, par Jean-Bernard Cahours d’Aspry.

Les éditions L’Age d’Homme, ont publiées sous la direction d’Efim Etkind, ses Œuvres Poétiques.

""Circuit des musées qui lui ont été consacrés en Russie :

Tarkhany :
Un musée d’État a été organisé en 1939 dans le manoir où Lermontov passa son enfance chez sa grand mère maternelle, dans le village de Lermontovo, (autrefois Tarkhany), oblast de Penza, raïon de Belinsky.  On peut y admirer à l’intérieur les pièces, salons et chambres telles qu’elles étaient à l’époque et le cabinet de travail, typique de celui d’un gentilhomme campagnard. Des films sont projetés sur la vie du poète et son œuvre.

Moscou :
Dans l’actuelle capitale de la Russie, on peut visiter la maison où vécut Lermontov, 2 rue Malaïa Moltchanovska, dans le quartier de l’Arbat. La maison musée qui conserve des manuscrits  ouvre au public entre 14h et 17h les mercredi et vendredi, entre 11h et 16h les jeudi, samedi et dimanche. Métro Arbatskaya.

Piatigorsk :
À Piatigorsk, dans le Kraï de Stavropol, (Caucase) un Musée d’État Lermontov a été organisé dans la dernière résidence de Lermontov*.
Il est composé de trois petites maisons dans un jardin. La principale, dite salle littéraire possède  un grand nombre de lettres, de manuscrits et d’objets ayant appartenu au peintre-poète. Ses dessins et aquarelles personnelles voisinent avec des peintures de paysages du Caucase. C’est dans cette maison qu’a eu lieu la dispute qui a entraîné le duel fatal. Les deux autres maisons présentent des bustes et des paysages peints du Caucase d’artistes variés. Dans l’une des maisons on peut voir le bureau sur lequel Lermontov écrivit « Un Héros de notre temps ».
Le billet donne droit à la visite du Musée dédié au compositeur Alexandre Alexandrovitch Alabiev (1787+1851) qui mit en musique son poème. En sortant à droite du Musée Lermontov, prendre à droite jusqu’à 100 m.

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