Pouvoir et désinvolture

Par Philippe de Saint Robert*

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« Richard Descoings, ce pirate des élites et des amours interdites, ce prince des médias dont la mort à cinquante-trois ans une semaine auparavant dans un hôtel de New York, restait encore mystérieuse, était donc célébré comme une icône. Je me souviens qu’un professeur se pencha pour souffler à son voisin : « Daemon est Deus inversus… ».
En écrivant la biographie de « Richie », Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde, était dans un terrain connu, elle ne faisait qu’aller d’un temple à l’autre du gauchisme assisté.

La vie (et la mort) de ce personnage n’ont cessé de tourner la tête du Paris germano-pratin, fait de ce qu’Emmanuel Todd appelle ces « catholiques zombis » s’épatant eux-mêmes, des politiciens à bout de souffle, des « drag queen » à mourir d’ennui : « La cocaïne et l’ecstasy, l’alcool et les psychotropes hantent les nuits parisiennes. Ils ont décidé de tout essayer, de tester la résistance de leur corps et d’abolir leur esprit, dans une forme d’expérimentation sans limite ». La biographe ne nous cache rien, pas même sa secrète admiration pour une transgression animée de si bons sentiments : ouvrir Sciences Po aux discriminés des banlieues, quitte à les faire entrer par privilège, la fameuse « discrimination positive » chère  à Nicolas Sarkozy. En faire le Harvard à la française, décrète notre gourou – qui oublie que les universités américaines ne seraient pas à la portée de nos déshérités des banlieues.

Richard Descoings tape joyeusement dans la caisse, à commencer pour lui-même et ses proches : simple marque de son enthousiasme. On a découvert que « la rémunération annuelle brute du directeur est passée de 315 311 euros en 2005 à 537 247 euros en 2010, soit une augmentation de 70 %. » D’une transgression l’autre, il va même se marier : « Dans le petit milieu des gays plus militants, le mariage avec une femme passe facilement pour une abdication. L’un d’eux a accusé Richard de « trahison, lui qui assumait pourtant jusque-là d’être un modèle » ».

À la mort de René Rémond, qui a tout encaissé, il se trouve un nouveau mentor, l’inénarrable Jean-Claude Casanova, l’ancien porteur de sacoche de Raymond Barre qui, dans sa grande lucidité, voit en lui un futur ministre de l’Économie. Donc, bientôt « les professeurs sont encouragés à faire une partie de leurs cours en anglais ».
Pécresse, Fioraso, Descoings, Casanova même combat contre la langue française. Qui piétine la langue française piétine la France. Une vieille lune à laquelle nos « têtes d’œuf » sont indifférents, adonnés qu’ils sont à son américanisation par euroravis.
« Un régime de faveurs et de défaveurs est venu se substituer aux moeurs académiques. (…) Les politologues de la maison constatent régulièrement des purges lorsqu’ils entendent la langue de bois des chargés de mission, ils évoquent un phénomène à la Lyssenko, en référence à un ingénieur qui réinventait la réalité pour plaire à son maître Staline. »
Il faut que la classe tant politique qu’administrative française soit tombée bien bas pour avoir pu être bluffée pendant de nombreuses années par un personnage aussi déjanté qui faisait leur admiration, que Jean-Claude Casanova, expert d’État, jugeait irremplaçable. Mais la « nouvelle génération » avait besoin de « rock stars ». Une catégorie dont la gloire est de mal finir.

Que s’est-il vraiment passé en avril 2012 dans cette chambre d’hôtel de New York ? Nadia Malik, son épouse, était inquiète : « Il dort peu. Travaille trop. Boit plus que de raison. La femme amoureuse connaît sa fêlure intime et morbide. Ce cœur qui l’incline à la sauvagerie. »

Raphaëlle Bacqué ne dissimule rien de ce personnage sombre et trop malade pour assumer la mission qu’il s’est donné. Mais ne l’accable jamais, sait en parler avec amitié, parfois avec la tristesse qu’on éprouve devant l’échec.

* Richie, de Raphaëlle Bacqué, Grasset, 18 €.

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