Province, de Richard Millet

/Avec Province, Richard Millet revient au roman, trois ans après la publication d’Une artiste du sexe qui était paru dans la prestigieuse collection blanche de la maison Gallimard, maison dont il a été banni à la fin de l’hiver dernier dans les conditions que l’on sait.

Une artiste du sexe, en faisant du narrateur un jeune écrivain américain s’essayant à la langue de Racine, (ou peut-être davantage à celle de Le Clézio, ce qui est déjà mesurer la chute vertigineuse de la langue française), permettait à Richard Millet une critique amusante et salutaire du personnage de son invention, Pascal Bugeaud, sur lequel il a sans doute transposé en les caricaturant, un certain nombre de ses traits de caractère.
Salutaire, parce que, comme l’explique Millet, il faut éviter à tout prix de tomber dans le pastiche de soi-même et dans la satisfaction de son propre talent. Salutaire, parce que la littérature, contrairement au feuilleton, n’a pas pour tâche de créer des personnages types que l’on retrouve à chaque épisode et qui donnent si peu à saisir de la vérité humaine contradictoire, paradoxale, changeante, déconcertante.

Il fallait un jeune américain ou une femme pour moquer la prétention de l’écrivain français.
Province donne à Millet une nouvelle occasion d’évoquer la figure de Pascal Bugeaud, mais en second plan, comme un motif lointain, une ombre planant désormais sur la ville d’Uxeilles, comme l’adieu à un homme qui s’éloigne et se perd dans l’épaisseur et l’anonymat de son œuvre.
Car le héros de Province est un dénommé Mambre, journaliste connu à Paris sous le pseudonyme plus élogieux de Saint-Roch, et qui revient dans sa province natale où son père – le vieux Mambre – se meurt, Saint-Roch retombant en Mambre, ayant subi la disgrâce de l’establishment parisien à la suite d’une affaire politique et venant finir sa carrière dans un placard, en prenant la direction d’un canard local, mais laissant courir le bruit selon lequel il serait « revenu à Uxeilles pour baiser le plus de femmes possibles », le bruit se répandant comme traînée de poudre, la ville de province étant, comme le milieu éditorial ou journalistique parisien, un réservoir à cancans et à fantasmes.

Ainsi, de même qu’il avait mis au jour dans Tarnac l’imposture d’un jeune provincial se faisant passer pour critique d’art à Paris, Millet découvre-t-il l’imposture du Parisien débarqué en province. Risibles tout autant l’un que l’autre, le petit milieu parisien quel qu’il soit et le monde provincial, ce sont d’inépuisables réservoirs de personnages, de noms, de lieux, de fantasmes, d’illusions et de contradictions. L’ennui n’est pas provincial, affirme Richard Millet qui évoque également, (dans l’entretien qu’il a donné à Mathias Rambaud que l’on peut trouver dans le livre qui vient de lui être consacré[i]) le mépris dans lequel est tenue la province française. L’ennui, en effet, n’est pas propre à la province où, il est vrai, le temps s’écoule peut-être plus lentement et où l’on se sent parfois évacué de l’Histoire. Hors de l’Histoire, peut-être, mais pas épargné par ses symptômes, que sont le divertissement obligatoire, la fierté sous toutes ses formes, l’inculture de masse et l’islamisme fou.

« La chute de la verticalité entraîne l’ennui non pas provincial (un mythe, à mon avis) mais ce que le divertissement général proposé par l’horizontalité (ludisme, hédonisme, sexe obligatoire) a de prodigieusement ennuyeux, au point que la maladie et la mort deviennent presque des événements salutaires, faute de salut », confie Richard Millet à Mathias Rambaud, ajoutant encore « mon roman est une sorte d’adieu au roman balzacien dont il reconnaît cependant la souveraineté. Paradoxe dont il s’agit de tirer toute la richesse, surtout en un pays, la France, qui méprise la province. Province est donc le roman de la perte de toutes les illusions : l’accomplissement de cette perte par renoncement autant que, pour la plupart des protagonistes, par impossibilité d’accéder à l’amour et d’en être transfiguré, sinon sauvé. »

Admirable fresque d’une France réduite à l’état de province du monde où chacun se prend les pieds dans la propre caricature de soi-même, voulant participer à l’Histoire mais ramené à son néant et à la petitesse de ses ambitions ; roman de la haine de soi, autrement dit, en un temps où l’ego est le seul horizon de la vie, l’envie la seule ambition et le nihilisme le cœur rougeoyant d’une Histoire  dévolue aux forces du mal.

Richard Millet, Province, éditions Léo Scheer, 325 pages

[i] Richard Millet, éditions Léo Scheer, collection Ecrivains d’aujourd’hui

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.