Les non-dits de l’Art dit « contemporain »

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Lors de la Biennale de Venise,  Philippe Dagen  repère que « dans sa partie officielle, (la Biennale) ne dit rien des guerres actuelles ni du terrorisme » (1), ce qui, pour un art qui se targue d’être « contemporain », fait désordre…

L’AC a d’autres non-dits ; officiellement la Biennale n’est pas commerciale ni la documenta, qui se tient tous les cinq ans depuis 1955 à Cassel : cette dernière est présentée comme le « forum des tendances actuelles» où «l’art rapproche les gens » afin de « surmonter les frontières, construire des ponts et une base pour vivre ensemble », dixit le maire de Cassel lors de l’ouverture.
Mais, opportunisme du calendrier, la foire de Bâle ouvre dans la foulée, le 13 juin, c’est une foire, donc un commerce explicite, et une soixantaine d’artistes exposés à Venise et Cassel y seront présentés par leurs galeries qui espèrent un effet « Venise ou documenta », bref un retour sur investissement…

Ah, l’Art financier ! L’Allemagne, un des créanciers les plus intransigeants de la Grèce, fait un geste magnanime : pour la première fois, la documenta  se déplace aussi dans une autre ville. L’infortunée Athènes  ne nourrira pas mieux ses retraités et ses chômeurs mais elle aura son content d’expositions, concerts, films et performances. De quoi les Grecs se plaindraient-ils ?
Cassel leur rend un hommage spectaculaire : la plasticienne argentine Marta Minujin, 74 ans, y dresse « Le Parthénon des livres » : 46 colonnes, non pas en marbre mais  constituées d’une armature métallique, et tapissées de livres qui furent, quelque part, interdits. Une installation aux dimensions du temple athénien et bâtie à l’endroit où, en 1933, les Nazis procédaient à des autodafés de livres. Un symbole comme l’AC* en raffole, «  un plaidoyer contre la censure sous toutes ses formes ».

Voilà  un roman de Soljenitsyne hissé par au pinacle par une grue, au côté des « Versets sataniques » ou des « Aventures de Tom Sawyer » et autres ouvrages qui, un jour, ont senti le souffre. Un temple éphémère de 100 000 livres et, une fois démonté, les livres seront redistribués au public : ah, ce sens du partage de l’AC ! On peut  cependant douter de l’état final des livres, qui protégés par une simple pochette plastique, devront supporter les caprices du ciel pendant 100 jours…
Bref, après avoir échappés à la censure, il n’est pas sûr que les bouquins survivent à l’AC qui entend les célébrer… Encore un non-dit, comme celui de l’artiste qui, il y a 34 ans, après la chute de la junte argentine, avait réalisé la même œuvre pour dénoncer la dictature. L’AC aime à recycler, « recontextualiser » : son contemporain bégaie volontiers, comptant sur l’amnésie du visiteur.

Des étudiants de l’Université de Cassel ont retrouvé la mémoire de 70 000  livres bannis ; 170 furent retenus pour figurer en copie multiple  au « Parthénon des livres » (sur quels critères ?).
Ironie du politiquement correct, « Mein Kampf » d’Hitler, est interdit de Parthénon comme tous les ouvrages incitant à la haine raciale. Comme quoi, cette ode à la liberté de publier «sous toutes ses formes »  démontre que nulle société ne peut s’empêcher de désigner ce qu’elle rejette et donc de censurer …

Établir qu’un livre a été censuré est subtil. En RDA, peu d’auteurs l’ont été ouvertement, ils avaient simplement la malchance de subir une pénurie de papier au moment de publier ! Dans notre belle démocratie, j’ai souvenir d’un Grand libraire qui annonçait comme « épuisé » un livre qu’il refusait, en fait, de vendre (un ouvrage  de Jean Clair). La censure la plus redoutable  se joue dans les « non-dits » et l’AC est un système qui, sous couvert de défendre l’innovation ou la modernité, censure tous les artistes qui ne sont pas dans sa mouvance, les peintres de chevalets et les sculpteurs sur socle en savent quelque chose.

Dernier non-dit en date, celui de Thierry Ehrmann, pdg d’Artprice, auteur de La maison du Chaos et qui  nous a annoncé mystérieusement « un blast » au mois de juin : qu’a-t-il donc encore inventé, lui qui révolutionna le marché en mettant à disposition du public, via internet, la plupart des cotes des artistes ?

La montagne va-t-elle accouche d’une souris ?  A suivre…

Christine Sourgins

(1) « Pendant la Biennale, la guerre continue », Le Monde, 16 mai 2017, p.20.

*AC art dit contemporain officiel, conceptuel et volontiers financier…

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