Bientôt un Hyber Académicien ?

Selon les dernières rumeurs, Fabrice Hyber postulerait à l’Académie des Beaux-arts !
Mais quels sont ses états de service ?

Son premier tableau en 1981 se résume à son titre : « le mètre carré de rouge à lèvre ». Six mois plus tard il couvre quatre mètres carrés de puces électroniques (offertes par Matra): on sent tout de suite un artiste dans la lignée d’Ingres ou Delacroix (1). Hyber est fasciné par le monde économique au point de considérer l’entreprise ou le commerce comme une forme d’art et de les transporter au musée. En 1995, il monte son « hybertmarché » au musée d’Art moderne de la ville de Paris : avec caisses enregistreuses pour les achats des clients-collectionneurs. Puis il défrisa le Centre Pompidou avec un salon de coiffure pour l’exposition «Féminin- Masculin».

Il monte aussi, telle une œuvre, sa propre SARL chargée de promouvoir ses POF (prototypes d’objets en fonctionnement) qui vont du ludique ballon carré à l’érotique balançoire munie de godemichés. La société a coulé mais peu importe, la sociologue Nathalie Heinich cite Hyber comme l’exemple typique de l’artiste officiel, tellement soutenu par les institutions qu’il n’a pas besoin de galerie (2)!

Parmi les commandes officielles, le monuments commémoratif, au jardin du Luxembourg, pour l’abolition de l’esclavage, Hyber se contente de planter un tronçon de chaîne, dont un maillon est ouvert : on sent qu’il a beaucoup travaillé l’indigence formelle. Hyber ne fait pas de sculpture, mais il illustre le concept de Libération. Il représenta la France en 1997 à la Biennale de Venise, transformant le pavillon français en une régie télé où amis et invités viennent s’exprimer librement en direct dans « un grand bordel créatif »sic. « Il s’est passionné pour les questions de réseaux un peu avant qu’elles ne deviennent à la mode »(3). A Venise, les émissions étaient animées par la version glamour de l’artiste : Elian Pine Carrington, « la plus arty des drag-queens ». Si Hyber est élu, cela promet une séance de réception qui va marquer les annales. Mais le ridicule ne tue pas… et lui valut le Lion d’or.

Hybert est un homme raffiné. Coquet, il décida d’enlever le 1er mai 2004 le T de son nom et devint Hyber, tout fait œuvre. Citons encore son célèbre homme vert de Bessines, version délurée du Manneken-Pis qui fait gicler l’eau par tous les orifices. Hyber (ou Hybert, on s’y perd) est aussi l’inventeur des « Bonbons très bons » (absorbables par tous les orifices) et, pour ceux qui seraient dégoutés, pas de problème, l’artiste est rentré dans le Guiness des records avec le plus gros savon du monde (22 tonnes) : pour ses admirateurs « Hyber a fait du glissage-entre-les -doigts un art » sic.

L’Académie devrait créer une nouvelle section

Entrera-t-il à l’Académie, cet insaisissable protéiforme ? Ce touche à tout ( photo, installation, vidéo etc ) se présenterait à la section peinture ! Car il produit aussi des dessins schématiques qu’il nomme « peintures homéopathiques » et définit comme « des ensembles qui décrivent une pensée ».

Hyber est, en fait, un artiste conceptuel et l’Académie ne pourrait l’admettre dans ces rangs (à ses risques et périls !) que si, et seulement si, elle créait une nouvelle section « conceptuelle ».
Les artistes conceptuels, qui sont les héritiers de Duchamp, ne sont pas dans la suite de l’art d’Ingres, Delacroix, Puget ou Rodin ; Marcel le savait, lui qui proposait de les appeler « anartistes » et non plus artistes. A l’Académie, peinture, sculpture, photo, gravure, cinéma ne sont pas mélangés, on ne voit pas pourquoi les anartistes conceptuels y prendraient la place des peintres. A moins que l’Académie contribue à son tour à une spécialité bien française : la destruction des arts visuels de la main et l’assassinat de la Peinture…qu’elle est censée protéger ! A l’heure où, même le milieu de l’Art le plus contemporain, pétitionne contre un hyper-businessman comme Koons, il serait étrange que la vieille dame du Quai Conti consacre son clone (pour le goût de « l’économique »), l’aura internationale en moins : à l’étranger les artistes subventionnés sont décriés. Mais si, malgré tout, elle se lançait dans l’aventure, qu’elle soit novatrice et contribue à éclairer le public sur l’état des arts en créant une nouvelle section !

Christine Sourgins

(1) « L’art du business », Roxana Azimi, Le Monde, Dim 12/ lundi 13 mai 2002.

(2) Nathalie Heinich, « Le Paradigme de l’art contemporain », Gallimard, collection « Bibliothèque des sciences humaines », 2014, p. 230.

(3) « Allez le vert », Anaïd Demir, Technikart 46, oct 2000, p.47-48.

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