Un grand artiste méconnu : Gaspard de Crayer

 Il est celui que l’on croise dans les salles flamandes sans le reconnaître, que l’on confond avec Rubens, avec Van Dyck, parfois Velasquez, mais dont le nom reste inconnu, et dont le renom s’est élimé.
Il est pourtant un incroyable artiste, qui en son temps et durant deux siècles a conservé la réputation d’être égal, et parfois supérieur aux grands maîtres flamands.
Mais il est aussi celui dont le tempérament calme et le goût casanier n’ont pas excité les anecdotes, et dont les sujets religieux cadrent mal le goût du public ­— et des conservateurs.
Il est celui qui a aujourd’hui, et pour la première fois, une exposition à son nom : Gaspard de Crayer.

 

Gaspard de Crayer, un peintre —trop ?— de son temps

 

            Portraitiste hors pair et adepte de la peinture religieuse, Crayer a marqué son époque et s’y est solidement ancré : parmi ses fréquentations on relève Rubens et Van Dyck (ce dernier a fait deux portraits de l’artiste, ce qui n’est pas anodin). Sa renommée fit très vite de lui le peintre de la Cour, au service de Philippe IV, du Cardinal-infant Ferdinand d’Autriche.

            Mais il n’était pas un inventeur. Ce qui n’était pas pour son époque un défaut, bien au contraire, est devenu avec les Lumières et la valorisation du sujet créateur au XIXème une tare, ne faisant de lui qu’un suiveur, et dont on ne pouvait retenir nulle « invention », nulle « trouvaille ». Ce qu’il a fait, il l’a fait excellemment, mais il ne l’a pas inventé.

            Aussi, la réputation dont il jouissait s’est peu à peu ternie durant les quelques trois siècles qui nous séparent de lui, et celui qui encore en 1862 était considéré comme « le plus éminent de tous les peintres contemporains de Rubens dans les Pays-Bas » (Gustave Friedrich), devint peu à peu un peintre peu intéressant.
L’avis  de Friedrich est contredit par des critiques comme Eugène Fromentin, qui « ne parle pas de G. de Crayer qui a du talent bien inutile » (1875) , et par Arsène Alexandre, qui trouve que « ni l’un ni l’autre [de ses tableaux du Louvre] ne paraît indispensable au musée, sinon historiquement » (1895).
Et c’est un mouvement qui s’est perpétué durant tout le XXème siècle, jusqu’à ce que cette exposition vienne redonner le juste éclairage qu’il mérite.

 

Une juste muséographie

 

            Juste éclairage, c’est le terme, puisque les toiles ont fait l’objet d’une attention toute particulière, avec des fonds pastels mettant subtilement en valeurs les portraits et scènes religieuses.

Le parcours proposé par le musée invite le spectateur à rencontrer le peintre dans une première salle qui en fait le portrait, avant de présenter les différentes facettes de ce peintre éclectique, allant du baroque revisité aux toiles au service de la contre-réforme, en passant par une vue de l’atelier et les portraits.
Parmi ces derniers, le choix effectué par Alexis Merle du Bourg et Sandrine Vézilier-Dussart d’isoler les portraits des prince a permis la présence d’une magnifique salle où les portraits en pied du Cardinal-infant Ferdinand d’Autriche et de Philippe IV d’Espagne illuminent la pièce par leur majesté et dans lesquels on constate toute l’étendue de la technique de Gaspard de Crayer.

            Si toutes les œuvres sélectionnées méritent qu’on s’y attarde, on retiendra particulièrement les portraits cités précédemment, auxquels on viendra ajouter le Portrait d’une femme avec un col en dentelle, qui est d’une subtilité saisissante, que l’anonymat du sujet vient redoubler, ainsi que les toiles de martyres (sainte Catherine est un de ses sujets favoris) et des sujets religieux évoquant la douleur (son Job tourné en dérision évoque subtilement, par la lumière et la puissance du corps éprouvé, toute la foi et la pugnacité de Job).

Enfin, La Pietà avec les portraits du bourgmestre Henric van Dongelberghe et de son épouse Adrienne Borluut constitue une des pièces maîtresse de l’exposition, tant elle allie les deux principales qualités du peintre flamand, le portrait et la scène religieuse : elle vient inscrire les deux notables au premier plan, avec force détail et sans concession aucune pour ses sujets (le strabisme du notable étant peint avec la plus grande sincérité), tandis que le second plan révèle une pietà d’une grande douceur, qui illumine les deux notables.

 

            En somme, cette exposition est d’une grande richesse, par la nature de son sujet qu’elle a su habilement mettre en valeur. Finalement le seul défaut est sans doute sa dernière qualité : puisque si le musée est relativement lointain, (à deux heures en TGV et navette de Paris, et à 40 minutes de Lille), il offre un cadre magnifique, la ville de Cassel, qui prépare l’esprit du visiteur à une plongée au cœur de la Flandre, en dehors et dans les tableaux.

Si M. Merle du Bourg nous a confié ne pas vouloir consacrer une nouvelle exposition au peintre, nous espérons que celle-ci saura redonner à Gaspard de Crayer toute la visibilité et la réputation qu’il mérite.

 

Maximilien Herveau

 

Pratique :

Gaspard de Crayer, entre Rubens et Van Dyck
M
usée de Flandre, Cassel
Exposition du 30 juin au 4 novembre 2018.

https://museedeflandre.fr/

 

Photos :

Portrait d’une femme avec un col en dentelle, 1620, huile sur toile, 82,5×64 cm, Gemäldegalerie der Akademie der bildenden Künsten, Vienne.

Portrait de Philippe IV d’Espagne en armure de parade, ca. 1627-1630, huile sur toile, 215×163 cm, Ministerio de Asuntos Exteriores y de Cooperación, Gobierno de España, Madrid.

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