Lectures en chambre close

Bâtissez votre abbaye de Thélème, suivez les lectures en chambre close de François Jonquères…
Un univers s’ouvre à vous, sans bouger !

 

Dans ma lointaine jeunesse, les interviews de sportifs ou d’acteurs de cinéma ne manquaient jamais de s’achever sur la question du livre qu’ils emporteraient avec eux sur une île déserte ; autre temps, autres mœurs…
J’imagine qu’aujourd’hui, l’interrogation porte plutôt sur le jeu vidéo compagnon de leur solitude, on se console comme on peut, et il faudra sans doute leur apprendre qu’il y a rarement d’électricité ou de réseau en plein milieu du Pacifique.

Mais revenons à la question qui m’arrachait alors un sourire amusé car, si l’idée de jouer au Robinson ne me déplaisait guère, ma prudence naturelle m’aurait conseillé de m’isoler avec plusieurs caisses de bons bouquins et non avec un seul. La pandémie que nous affrontons depuis deux mois a, d’une certaine façon, joué le rôle du naufrage et le confinement imposé transformé mon appartement en récif douillet où, à défaut de palmiers et de tortues, les livres ne manquèrent jamais.

 

 

Ainsi cloîtré, comme il est agréable de suivre les traces de Laurence Darrell, héros du Fil du rasoir de Somerset Maugham, ou de l’intrépide Nicolas de Saint-Damien, le sang ne trompe pas, aussi libre qu’Un oiseau dans le ciel, sous la plume du grand Félicien Marceau qu’il est urgent de relire. A peine revenu de mes escapades, je chevauchai au côté du général Suter (L’or), l’aventure c’est vraiment l’aventure avec Blaise Cendrars, avant de me retrouver En rade (En route attendra encore un peu…), Jacques Marles n’étant hélas pas du même tonneau que Des Esseintes ou Durtal, sauf l’écriture enivrante de Huysmans.
Un petit tour au Château d’Ulloa, situé en Espagne comme tout château qui se respecte, quelques larmes versées au chevet de Jean Valjean (tandis que cet infâme Thénardier partait aux Amériques jouer au négrier, il n’y a pas de justice en ce bas monde !), des cavalcades à bride abattue à la suite de Théodore Géricault pendant La semaine Sainte, cela s’impose, des tours pendables avec de bien mauvais diables dans ce bijou de Boulgakov, Le maître et Marguerite, à aimer passionnément, à la folie, mon îlot de survie avait des faux-airs d’annexe du Paradis sur terre.

Dans cette atmosphère confinée, il eût été impardonnable de ne pas inviter Paul Halter, maître incontesté des meurtres en chambre close et digne successeur de l’immense John Dickson Carr, d’autant, qu’après un trop long silence, il vient de remettre certains pendules à l’heure avec La montre en or (Ed. Eurydice).
J’y retrouvais, avec délice, les nombreux ingrédients qui font son succès planétaire, ces histoires parallèles toutes relatives, ces cadavres exquis (il gît ici sur une épaisse couche de neige sans empreintes autour de lui, quel pied !), ce goût hitchcockien pour les réminiscences, qui prend la forme d’un film noir en noir et blanc, neige oblige sans doute : le cocktail est explosif et se déguste à petites gorgées comptées.

Ajoutez-y la présence décontractée d’Owen Burns, un de ses héros fétiches, un amusant clin d’œil à Roland Lacourbe métamorphosé en Ronald Lecourbe, il ne vous reste plus qu’à vous installer dans votre fauteuil préféré, à secouer (mais non agiter) vos méninges, à plonger dans le mystère, pour conclure que ce vice impuni, justement vanté par Valery Larbaud – je vous  rassure, il évoquait la lecture – est décidément un virus à contracter d’urgence !  

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.