Raspail : le dernier grand seigneur  

Il est de tradition, le mot est pris ici dans son acception la plus noble, d’accueillir le trépas d’un monarque en célébrant l’avènement de son successeur, au cri fameux et maintes fois répété de : « le roi est mort, vive le roi !», gage de pérennité et de stabilité d’une nation.
Hélas, avec le décès de Jean Raspail, à quelques jours de son quatre-vingt-quinzième anniversaire, nul n’ose fêter à haute voix une relève pâlichonne, encore trop frileuse, sans envergure, et il est désormais légitime (curieux comme certains termes s’imposent d’eux-mêmes en évoquant Raspail !) de craindre d’avoir dit adieu au  dernier de nos grands seigneurs.
C’est dire la perte immense pour notre littérature déjà chancelante.

L’église Saint-Roch a pourtant accueilli une cérémonie à rendre jaloux Charles Quint en personne, et laisse finalement espérer que les graines semées porteront un jour prochain leurs fruits.  Le regard lumineux de Raspail, azur et voie lactée, justifie au plus fort la poursuite de son rêve, de cette espérance repoussant sans cesse les limites de nos médiocrités.

Mon histoire avec celui que Bruno de Cessole surnommait affectueusement le Don Quichotte des causes perdues (Le défilé des réfractaires – L’Editeur) gardera toujours un goût d’inachevé. En 2011, le jury du prix du livre incorrect, dont j’étais alors, n’osa pas couronner la réédition de son merveilleux Camp des Saints et, ayant rejoint depuis la joyeuse cavalcade du prix des Hussards, un virus,  sur lequel il est de bon ton de chinoiser, causa le report de notre remise, initialement prévue le 28 avril dernier dans les somptueux salons du Lutetia, au cours de laquelle un hommage sous forme d’un vibrant coup de Shako lui était réservé. Qu’importe, le sabre sied aux Hussards comme aux Corsaires et leur fidélité va bien au-delà de la mort.

A l’heure où notre dernier Géant des Lettres vogue vers d’autres Cieux retrouver Jacques Perret, Michel Déon, Félicien Marceau et tant d’autres, nous n’hésiterons plus à mettre nos pas dans ceux de ce grand voyageur, cet explorateur des confins, ce défenseur des derniers peuples libres, comme ses chers Alakalufs, héros des pages immortelles d’Adios, Tierra de  Fuego. Et nous continuerons bien volontiers ses nobles combats, en songeant à ses lignes, à ce souffle à nul autre pareil, qui vous emportaient d’Alaska en Patagonie, terre de liberté et point de ralliement des réfractaires de tout âge.

Longtemps encore, des cavaliers quitteront la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’est plus gardée, répondant à l’appel de l’aventure, du grand large où l’homme n’a à craindre que son Créateur. Et chacun de ses cavaliers portera dans ses sacoches un exemplaire de Moi, Antoine de Tounens. roi de Patagonie (Grand prix du roman de l’Académie française en 1981, rendant ainsi l’année moins pénible), de Sire ou des Yeux d’Irene, aujourd’hui pleins de larmes.

Solstice d’été, l’océan se retire, la lune verse quelques larmes. Le seul hommage accepté et digne de ce très grand seigneur sera de rejoindre la nouvelle vague qui emportera bientôt nos songes à la vitesse d’un cheval au galop, dans le tumulte d’une vie de passions, de droiture et d’honneur, où audace rime avec encore et toujours.

 François Jonquères

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