Quand le gothique s’érige en roman

 

Il convient de sauver les libraires ! Mais, attention, les vrais, les magiciens, les vendeurs de rêves éveillés, les artistes ! Pour les autres, tristes marchands de soupe d’une presse littéraire atonique, sont-ils vraiment capables de dénicher un nouvel auteur, assez téméraires pour donner sa chance à un brillant inconnu, passionnés au point de vous parler avec tendresse de Mademoiselle de Maupin, d’Un oiseau dans le ciel, du Flagellant de Séville,  d’évoquer encore, l’œil humide, la lèvre gourmande, Tourgueniev, Stevenson ou Christine de Rivoyre ?
La littérature pour tous n’est définitivement pas pour moi.

C’est un libraire catégorie grand luxe, rebelle assumé et culture sans frontière, qui m’a conseillé la merveilleuse compilation gothique de la collection de la Pléiade (Gallimard). Il ne manque à ces héros que le masque sur le nez pour ressembler aux fantômes que nous croisons aujourd’hui dans nos rues devenues désertes. Question ambiance, vous ne serez donc pas déçus. Un décor s’impose : feu de cheminée, vieux malt à portée de main, chocolat à profusion pour les croqueurs invétérés. Et vous voilà au milieu d’un souterrain humide et inquiétant, parcourant les couloirs hantés d’un manoir isolé sur une lande à y abandonner votre belle-mère, croisant le fer avec des forces maléfiques, défendant la veuve pour mieux sauver l’orpheline destinée à vos bras accueillants.

Pour ouvrir le bal, un château s’impose. Celui d’Otrante, truffé de souterrains et tapissé de passages secrets à coller la jaunisse à J.K Rowlings, nous accueille sous la plume aérienne d’Horace Walpole dont ce sera, nous pouvons le regretter, le seul roman. Les commentateurs éclairés y voient la pierre angulaire du roman gothique ; il est vrai que les thèmes fondant cette intrigue débridée, la spoliation, une tyrannie appliquée aux forceps, un érotisme confinant souvent au sadisme ou encore les indispensables petits meurtres en famille, se recroiseront volontiers ailleurs. La plupart de ces ingrédients pour plats épicés se retrouvent ainsi dans Vathek (Beckford), un texte aux faux-airs de conte oriental un peu olé-olé, oscillant entre farce et larmes. C’est sans doute là toute la magie de ces romans gothiques, passant du jeu au drame, des rêves légers d’un adolescent à des cauchemars nés dans des esprits malades.

A mon sens, le sommet de ce recueil pour heureux de ce monde demeure Le moine, de Matthew Lewis. C’est déjà un texte choquant, iconoclaste, terrible, attaquant l’hypocrisie d’une certaine forme de religion. Il est encore cruel, odieux, hanté par les forces du mal qui y triomphent à la fin, le héros éponyme n’ayant certes pas volé sa punition, son sens de la famille étant particulièrement douteux. Voilà des lignes qui vibrent, des pages qui empestent le soufre, le stupre. Qui oserait écrire comme cela aujourd’hui ? Qui le pourrait d’ailleurs ? Lewis le devinait de lui-même : « Une méchante œuvre comporte sa propre punition, à savoir le mépris et le ridicule. Une bonne suscite la jalousie et vaut à son auteur mille humiliations. Il se trouve en butte à une critique partiale et malgracieuse. Celui-ci n’aime point le plan, celui-là le plan, cet autre le principe qu’on cherche à inculquer…En bref, c’est s’exposer volontairement aux flèches de la négligence, du ridicule, de la jalousie et de la déception que de descendre dans l’arène littéraire. » (pages 369 et 370)

L’Italien et Frankenstein ferment une marche forcément funèbre. Au premier, il est permis de préférer d’autres titres d’Ann Radcliffe, notamment celui nous contant les aventures d’Emilie Saint-Aubert. Au contraire de Lewis, Radcliffe présente l’avantage de toujours inviter le rationnel dans le délire fiévreux du gothique et apporte ainsi un peu d’apaisement à ces lectures pour estomacs solides et intelligences éveillées et peu formalistes. Frankenstein glisse déjà vers le roman d’horreur, mais quel texte, quelle force, quel pari !

Babines dégoulinantes car dûment léchées, je rêve déjà d’une suite, d’un second tome constitué des Mystères d’Udolphe (Ann Radcliffe), de Melmoth le vagabond (Charles Robert Maturin), de L’oncle Silas (Joseph Sheridan Le Fanu), qui pour être tardif n’est pas moins dans le jus. Et, quitte à faire œuvre utile,  soyons fous et suggérons aux Editions Gallimard d’incorporer à leur Pléiade d’étoiles, un tome consacré à nos chers Hussards, avec au menu des réjouissances, quelques lectures solides et euphorisantes dont nul ne se lasse : Le Hussard bleu (Roger Nimier), Les poneys sauvages (Michel Déon), Un singe en hiver (Antoine Blondin) et Le petit canard (Jacques Laurent), auxquels rien n’interdit d’ajouter une touche de Félicien Marceau (Creezy ou encore Le corps de mon ennemi ?) ou une nuance de Stephen Hecquet (Les guimbardes de Bordeaux).
Avec pareil attirail, nul risque de jamais perdre le goût : les variants du monde entier n’auront alors qu’à bien se tenir !

 

                                                                                                                                                                                                                          François Jonquères

 

Pour aller plus loin, découvrez la collection de romans populaires de chez Okno éditions, de Paul Féval à Gaston Leroux en passant par Henry James ou Maurice Renard

VAMPIRES, PAUL FÉVAL (TOME 1)
Bien avant Bram Stoker et Sheridan Le Fanu, à qui l’on doit les plus beaux récits vampiriques, Paul Féval, le plus prolifique des romanciers populaires, auteur du Bossu, écrit des œuvres s’inscrivant dans la veine fantastique, trois romans de vampires méconnus du grand public : Le Chevalier Ténèbre, ou les aventures de deux frères venus de Hongrie pour semer la terreur en Europe ; La Ville-Vampire, un roman remarquablement écrit, une parodie des récits d’Ann Radcliffe, pionnière du roman gothique (tome I) ; et La Vampire qui relate une série de disparitions étranges dans Paris en lien avec une étrange comtesse hongroise (tome II).
À lire sans tarder pour les amateurs d’histoires de vampires et de littérature populaire.

 

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