Retour à la peinture ?

Changerait-on enfin d’époque suite au Covid ?
Une interview de Damien Hirst avait donné de l’espoir (1). Lui qui a exposé à la fondation Cartier jusqu’au 2 janvier déclarait en gros titre « L’art sert à nier la mort ». Ce n’est pas la découverte du siècle mais bienvenu par temps d’épidémie même si on peut préférer Malraux : « l’art c’est la présence dans la vie de ce qui devrait appartenir à la mort ».
Un doute plane sur le sérieux métaphysique de l’anglais quand on lit « je pense que tout art parle en réalité de la mort même les ballons de Koons » sic. Vraiment ? Les Koons font généralement plutôt un bruit de tiroir-caisse mais passons.

Qu’apprend-t-on ? Que Damien Hirst a toujours peint. Voilà qui nous avait échappé, tant Hirst nous a abreuvés de formol avec requin ou de pilules pharmaceutiques sur étagères en guise d’installation ! Pourquoi n’en-a-t-on rien su : une odieuse censure ? Vous n’y êtes pas, Hirst le dit ingénument : « ce n’était pas la mode à l’époque ». Quel courage, comme artiste qui va au bout de ses désirs, Damien se pose là. Et pourquoi retourne-t-il sa blouse aujourd’hui ? « Quand on est artiste, on veut faire de son art le reflet de son temps, et la peinture semble plus appropriée et acceptée aujourd’hui qu’avant. Je dirais qu’il y a une sorte de magie et de spiritualité spécifique à la peinture ». Il y a surtout moins d’expositions et, avec les restrictions sanitaires, moins de public, une installation en photos et sur écran étant bien moins bankable que les peintures… d’où le carton des NFT.

Son ensemble de tableaux de cerisiers en fleurs tapissant la fondation Cartier, l‘artiste le qualifie lui-même de « jouissif » et « d’ornemental », il dérive d’un filon exploité depuis longtemps par Hirst, les « spots painting ». On en soupçonnait la rentabilité mais pas la spiritualité, or ces amas minimalistes de points de couleurs traduiraient, dit-il, son aspiration à l’immortalité. La preuve ? Cette série de points devrait se poursuive après sa mort : wouah, quelle immortalité, Khéops n’a qu’à bien se tenir ! Et comment l’artiste a-t-il renoué avec la peinture ?

Qu’est-ce qu’une imagerie positive quand on s’appelle Hirst ?

En 2017, après une grosse expo à Venise, soudain, non pas une inspiration divine mais un coup de mou : « je n’avais plus rien à faire. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de peindre. Et je me suis engagé dans cette activité relativement solitaire ». A quoi ça tient, quand même, l’immortalité : à un léger ennui. Et puis arrive le confinement, et là, c’est terrible : « je n’avais plus d’assistant et ce fut un choc de me retrouver dans une profonde solitude ». Imaginez l’exploit du génie : « ces grandes toiles, je les déplaçais moi-même dans l’atelier » sic. « Peindre a bizarrement absorbé mes angoisses du covid-19 dans une imagerie positive ».

Bravo, fort bien, mais qu’est-ce qu’une imagerie positive quand on s’appelle Hirst ? C’est se lancer dans les NFT avec des peintures numériques et sur papier. Chaque acquéreur aura le choix : « Il faudra ou bien détruire son NFT ou détruire la peinture…ce qui fera varier la valeur des œuvres » sic. Rien que du positif, on vous dit, mais comme sens de l’immortalité on fait mieux…

Comme retour à la peinture aussi, voilà un successeur de Vinci ou Rubens préparant « un autre projet qui consiste à faire peindre des robots ». « Je veux peindre sans effort ! Ce seront des portraits en noir et blanc peints à partir de photographies. » Faire toute une expo peinte par des robots, l‘excite, dit-il. « Il y a toujours des gens qui viennent me dire : « vous ne faites pas vos œuvres vous-même ». Pour moi ce n’est pas un problème, tant qu’à la fin le résultat correspond à ce que je veux ». Les robots, à l’inverse d’assistants frustrés, ne réclameront pas de droits d’auteur… Max Ernst disait que ce n’est pas la colle qui fait le collage, c’est valable pour la « peinture » ; grâce à Hirst nous comprenons mieux ce qu’est un artiste d’AC se prétendant « peintre »…

Que 2022 nous apporte de vraies embellies !

Christine Sourgins

(1)Damien Hirst : « L’art sert à nier la mort », propos recueillis par Emmanuelle Jardonnet, Le Monde du 23/07/21, p.22.

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