Au Château Musée-de-Boulogne sur Mer se tient une exposition inédite : « Vers l’Abstraction Lyrique »; ou la genèse de l’œuvre du peintre Georges Mathieu.
Georges Mathieu est né à Boulogne sur mer et y a passé toute son enfance. Fort attaché à cette ville, il a fait une dotation de ses œuvres à son « Château Musée » et donné un de ses tableaux monumentaux à la municipalité : « La bataille de Tibériade ».
La ville et les conservateurs du musée s’attachent donc à faire régulièrement expositions et travail d’histoire sur la vie et l’œuvre de ce peintre connu dans le monde entier dès le début des années 50 et très aimé des français.
Certes on peut évoquer son oubli… Mais il faut en connaître l’origine. Ce ne fut pas un effet de mode mais plus exactement une mise à l’écart de l’histoire de l’art qui ne s’explique que par les péripéties de la guerre froide culturelle
Cette exposition contribue à rétablir la vérité des faits sur Georges Mathieu et le contexte artistique de l’époque. Par son art il apporte un souffle nouveau à l’abstraction et devient le chef de file d’un courant extrêmement fort et divers, au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Les tableaux exposés témoignent de ce moment particulier de la vie artistique qui goûte à la liberté retrouvée.
L’appellation même d’ « Abstraction lyrique » a été choisie par Georges Mathieu en 1946 : elle fut la bannière qui rassembla des peintres pour leur première exposition collective.
La mise en lumière de l’histoire de ce courant rend enfin possible sa comparaison avec l’histoire des peintres abstraits newyorkais qui surgissent au même moment, bien que beaucoup plus tard nommés : « Expressionnisme abstrait » ou encore « Action painting » .¹
En effet, en 1947, la vie artistique devient un enjeu politique. L’Amérique comprend qu’elle ne gagnera pas la guerre froide si elle n’est, aux yeux des européens, qu’une force militaire et économique. Il lui faut devenir aussi « la référence » culturelle. Le seul moyen d’y parvenir est de disqualifier l’art européen, français en particulier.
La promotion de quelques abstraits américains par des expositions collectives, promenées à travers toute l’Europe, fut un moyen d’affirmer une modernité artistique jusque-là inconnue en Amérique. Organisées au début par l’État fédéral, puis relayés par la CIA, elles ont été prise en charge financièrement par les fondations et légitimée par les Musées américains.
On est frappé de l’authenticité de ce mouvement.
Ce qui se passe en France à la même époque est très différent.
Dès octobre 1944, les Salons reprennent. Les Galeries cherchent à découvrir la « nouvelle génération ». Avec peu de moyens, elles courent des risques, s’engagent. Les critiques d’art accourent et commentent. Mathieu cherche les peintres qui vont dans le même sens que lui, les réunit, organise des expositions. Le public aussi entre dans la controverse. La presse en parle. Les noms des peintres sont connus de tous. Tout cela n’est pas seulement objet de spéculation mais surtout de controverse, de passion et de goût.
Lorsque l’on suit pas à pas l’exposition de Boulogne on est frappé de l’authenticité de ce mouvement. On peut y voir la première œuvre de Mathieu, peinte au cours d’un bombardement. Elle déclenche sa vocation d’artiste en pleine guerre. Il peint en solitaire jusqu’à la Libération. En 1944 il s’installe à Paris, il se lie d’amitié avec Wols, il rencontre aussi Bryen, Soulages, Zao Who Ki, Riopelle, Atlan, Ubac, Arp.
En comparaison, le courant abstrait new-yorkais semble très en marge du monde américain et même de la société artistique et intellectuelle de l’époque. Il n’a ni public ni amateurs.
En France en 1952, c’est Georges Mathieu qui se fait l’ambassadeur de l’abstraction américaine. Il organise une exposition de ses peintres. Il prend la parole pour faire une « proclamation aux peintres d’avant-garde américains », les présente comme des pionniers de la modernité Outre-Atlantique, quoique inconnus là-bas.
Il ironise sur ceux qui ne les ont pas découverts et cite l’opinion du Directeur du MOMA, Alfred Barr, qui déclarait en 1949 : « Je ne pense pas qu’il y ait un seul courant ou direction bien définis dans l’art américain d’aujourd’hui ». Il cite aussi Daniel Catton Rich qui affirmait : « Je crois que les chefs de files de la peinture et de la sculpture moderne continuent à se trouver en Europe ou au Mexique plutôt qu’aux USA ».
Les nécessités de la propagande américaine sont à l’origine d’une histoire de l’art qui efface « l’Abstraction de Lyrique », Georges Mathieu et l’ « École de Paris ». Mais les tableaux demeurent, les faits ont la vie dure, ils persistent.
L’abstraction lyrique fut un mouvement naturel, aux racines profondes et au rayonnement international. C’est ce que l’on ressent en parcourant cette remarquable exposition qui permet de juger par soi-même un fait important de l’histoire de l’art du XXème siècle.
Aude de Kerros
1. Appellation datant de dates bien postérieures au début de la promotion « politique » de ce courant, faite au moment de la construction du « story telling » nécessaire à sa stature historique. « Expressionisme abstrait « apparaît dans les discutions animées du Club du 39 -8ème rue Est. C’est Harold Rosenberg qui trouve la formule « American action painting » en 1952.
Pratique :
« Vers l’Abstraction Lyrique »
Au Château Musée de Boulogne sur Mer
Rue Bernet 62 200
03 21 10 02 22
Du 7 juin au 29 Septembre.
Photos :
– Georges Mathieu, Penthésilée, (c) Direction des musées, LAAC, Dunkerque Jacques Quecq d’Henripret – Adagp Paris 2014 – Ville de Boulogne sur Mer
– MATHIEU Georges, Phosphène, 1948 (c) Adagp, Paris 2014
– ZAO WOU KI, sans titre, 1957 (c) Adagp, Paris 2014
Poster un Commentaire