Nabe arrête de publier

>Marc-Edouard Nabe bénéficie du dernier soutien de l’édition avec Le Dilettante, qui republie trois textes, prétexte pour clamer haut et fort que « Nabe » est toujours vivant.  Même si, dans <em>Le Vingt-Septième Livre</em></strong><strong>, il passe aux aveux : « J’arrête. La société a gagné (ça n’est pas la première fois) contre l’individu libre, heureux de créer et fou d‘amour ». Il faut s’attendre à ne voir désormais que ses tableaux, comme dernièrement, à l’office de tourisme du Liban où il présentait ses dernières créations. Quant à l’amour, je lui fait confiance.</strong></p> <p>    Cette longue préface à la nouvelle édition il y a quelques années de son chef d’œuvre, <em>Au Régal des vermines</em> - que nous avions salué dès sa parution -, est une lente agonie, un éloge de la fuite, un Requiem dédicacé à ce qu’il considère comme un échec personnel. Dont acte. Le lecteur puisera dans ce récit égocentrique, sorte de nécrologie anthume faite à soi-même, des sentiments hors du commun. Imaginez André Gide jeter l’éponge parce qu’on ne l’achète plus. Ou Léon Bloy. Ou même Jean Cau, criant de ses poumons asphyxiés que la société ne le comprenant plus, il arrête d’écrire.</p> <p>    « J’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. J’ai prêché une littérature jubilatoire d’exaltation artistique. J’ai été grotesque. Je n’ai pas su voir. Au lieu de foncer dans mes extases, il fallait rester sur place, stagner dans sa merde et simplement murmurer : Ca va pas fort ». Certes, Nabe aurait pu être le nouveau Dominique de Roux de sa génération, même si son vaste journal n’est pas<em> Immédiatement</em> et si <em>Lucette</em> n’est pas <em>La mort</em> de Louis-Ferdinand Céline. Mais à force de vitupérer, d’assassiner, d’insulter et de jouer à être plus maudit que ses maîtres, Nabe s’est grillé l’herbe sous le pied. Impulsif, lyrique et extatique, rassemblant des petites cohortes de fidèles qui frissonnaient de joie dans les cercles concentriques et littéraires de Paris  et de Levallois, il n’a pas su dépasser sa légende, surpasser chaque malentendu pour aboutir à cracher une œuvre indestructible. Il fut sans doute trop pressé d’accéder au statut d’écrivain dans un milieu où l’on ne délivre que rarement  un brevet de bonne conduite. </p> <p>    Montherlant, par exemple, avait compris cela, lui qui déjouait son monde en devenant au fur et à mesure des décennies un aîné anti-conformiste, plus profond que Claudel, moins rigide que Gide et plus attrayant que Mauriac. Nabe a pour lui la sensualité de ses phrases, composant avec le swing des mots, la cadence des interjections, la salive de son discours. D’une certaine manière, il avoue dans son Vingt-Septième Livre qu’entre Houllebecque et lui, il y en avait un de trop. Le « looser » et le « best-seller ». Un peu comme entre jean-René Hugunein et Hallier. Sauf qu’Hallier n’a jamais été vraiment un auteur à succès. « Ce que j’ai enduré de la part d’un milieu qui dit travailler pour la littérature est inimaginable ! », écrit-il avec lucidité. Mais Nabe a joué sa peau, C’est un physique. Un tireur d’élite. On ne l’a pas raté, lui non plus. Reste maintenant ses livres. Et ses chroniques façon samizdats collés sur les murs de la rive gauche.</p> <p>    Dur de vivre en souhaitant passer à la postérité de son vivant ! On ne peut pourtant que lui souhaiter longue vie !</p> <p><br /></p> <p><em>Paroles d’outre-tombe p<span style=

Les éditions Le dilettante ressortent le court essai Nuage , consacré au guitariste de jazz Django Reinhardt. Quinze ans ont passé, le jazz et Nabe sont morts… ou presque.

Après avoir fait chanter « L’âme de Billie Holiday » (Denoël) et ressusciter le saxophoniste  Albert Ayler dans La Marseillaise (Le dilettante), Nabe s’est attaqué à un autre monstre sacré du jazz : Django Reinhardt.

Construit comme un solo, « Nuage » alterne les tempos, et l’écriture swingue presque autant que la vie de son modèle. Des frasques trépidantes des années de gloire aux mélos assoupis du génie démodé, Nabe adapte son rythme et signe une anti-biographie définitive. Il accompagne Django Reinhardt en pleine apogée, cédant aux mirages du New York clinquant des années 40 avant de retomber dans l’oubli et la dépression en pleine révolution be-bop.

Pas question pour autant de donner dans l’académisme béat, l’auteur préfère les ellipses anecdotiques aux chemins balisés de l’Histoire. On découvre ainsi le musicien en plein processus de création, « lécher l’air » au contact de sa guitare infirme, les deux doigts crispés sur une corde « pour sortir un son qui semble venir d’ailleurs ». On apprend aussi de ses correspondances surréalistes avec le violoniste Stéphane Grappelli lors de voyages américains. Engoncé dans sa défroque de dandy clownesque, Django Reinhardt traversa sa carrière en funambule sans filet. Comme un « Nuage », plus exactement, « bien ouaté, tout en vapeur d’amour, il flotte dans le ciel inquiet ».

Nabe se révèle plus habile dans l’hommage que dans le pamphlet haineux. L’écrivain maudit distille une sensibilité pudique, digressant parfois sur la création et la difficulté pour l’artiste de s’accommoder à la «norme» imposée. La complicité succède alors à l’admiration distanciée, le récit devient plus intime, et Nabe de se confier sur son travail littéraire tant décrié : « Les livres qu’on écrit sont des nuages plus ou moins grands, blancs, menaçants : ils se frôlent, se tamponnent mousseusement, s’affrontent parfois dans un chaos cotonneux ». Nuage nous apparaît alors comme le dialogue posthume entre un musicien mort et un écrivain presque enterré.

Romain Blondeau

Marc-Edouard Nabe, Le Vingt-Septième Livre,  L’Âme de Billie Holiday, La Marseillaise, Ed. le Dilettante.

Trois rééditions

par Gilles Brochard

Marc-Edouard Nabe bénéficie du dernier soutien de l’édition avec Le Dilettante, qui republie trois textes, prétexte pour clamer haut et fort que « Nabe » est toujours vivant.  Même si, dans Le Vingt-Septième Livre, il passe aux aveux : « J’arrête. La société a gagné (ça n’est pas la première fois) contre l’individu libre, heureux de créer et fou d‘amour ». Il faut s’attendre à ne voir désormais que ses tableaux, comme dernièrement, à l’office de tourisme du Liban où il présentait ses dernières créations. Quant à l’amour, je lui fait confiance.

Cette longue préface à la nouvelle édition il y a quelques années de son chef d’œuvre, Au Régal des vermines – que nous avions salué dès sa parution -, est une lente agonie, un éloge de la fuite, un Requiem dédicacé à ce qu’il considère comme un échec personnel. Dont acte. Le lecteur puisera dans ce récit égocentrique, sorte de nécrologie anthume faite à soi-même, des sentiments hors du commun. Imaginez André Gide jeter l’éponge parce qu’on ne l’achète plus. Ou Léon Bloy. Ou même Jean Cau, criant de ses poumons asphyxiés que la société ne le comprenant plus, il arrête d’écrire.

« J’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. J’ai prêché une littérature jubilatoire d’exaltation artistique. J’ai été grotesque. Je n’ai pas su voir. Au lieu de foncer dans mes extases, il fallait rester sur place, stagner dans sa merde et simplement murmurer : Ca va pas fort ». Certes, Nabe aurait pu être le nouveau Dominique de Roux de sa génération, même si son vaste journal n’est pas Immédiatement et si Lucette n’est pas La mort de louis-Ferdinand Céline. Mais à force de vitupérer, d’assassiner, d’insulter et de jouer à être plus maudit que ses maîtres, Nabe s’est grillé l’herbe sous le pied. Impulsif, lyrique et extatique, rassemblant des petites cohortes de fidèles qui frissonnaient de joie dans les cercles concentriques et littéarires de Paris  et de Levallois, il n’a pas su dépasser sa légende, surpasser chaque malentendu pour aboutir à cracher une œuvre indestructible. Il fut sans doute trop pressé d’accéder au statut d’écrivain dans un milieu où l’on ne délivre que rarement  un brevet de bonne conduite.

Montherlant, par exemple, avait compris cela, lui qui déjouait son monde en devenant au fur et à mesure des décennies un aîné anti-conformiste, plus profond que Claudel, moins rigide que Gide et plus attrayant que Mauriac. Nabe a pour lui la sensualité de ses phrases, composant avec le swing des mots, la cadence des interjections, la salive de son discours. D’une certaine manière, il avoue dans son Vingt-Septième Livre qu’entre Houllebecque et lui, il y en avait un de trop. Le « looser » et le « best-seller ». Un peu comme entre jean-René Hugunein et Hallier. Sauf qu’Hallier n’a jamais été vraiment un auteur à succès. « Ce que j’ai enduré de la part d’un milieu qui dit travailler pour la littérature est inimaginable ! », écrit-il avec lucidité. Mais Nabe a joué sa peau, C’est un physique. Un tireur d’élite. On ne l’a pas raté, lui non plus. Reste maintenant ses livres. Et ses chroniques façon samizdats collés sur les murs de la rive gauche.

Dur de vivre en souhaitant passer à la postérité de son vivant ! On ne peut pourtant que lui souhaiter longue vie !

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