Publié au printemps dernier, le roman de Pierre Michon fait de nouveau parler de lui en cette rentrée littéraire.
Il pourrait être sélectionné pour le Goncourt, ce qui nous importe assez peu, même si nous ne serions pas hostiles à ce que le prix littéraire le plus médiatique revienne à un authentique travailleur de la langue, mais nous donne l’occasion d’évoquer un livre admirablement écrit.
Les Onze, ce sont les représentants du Comité de salut public, ce joyeux cénacle qui instaura la Terreur en 1794 sous l’égide de Robespierre. C’est aussi un célèbre tableau de Corentin, conservé au musée du Louvre. Cette toile qui est l’empreinte la moins sanglante qu’ait laissé l’éphémère dictature à onze têtes est pour Pierre Michon le point de départ de multiples histoires dans lesquelles on croise Tiepolo, le génie vénitien, les ancêtres de Corentin, ouvriers limousins forcés de s’exiler dix mois par an pour gagner leur vie comme manouvriers mais aussi l’ombre de Shakespeare, le poète du sang et de l’ombre, celui qui aurait certainement su le mieux écrire la fresque morbide de cette période damnée. Car l’histoire du tableau de Corentin, c’est celle de la Révolution quand elle mute en Terreur, quand la dictature la reprend et instaure « un exécutif siégeant à la place honnie du tyran, un tyran à onze têtes, existant et régnant bel et bien, donnant même à voir la représentation de son règne à la façon des tyrans ». C’est une histoire qui se joue la nuit, dans d’obscures salles où se murmurent des conspirations, c’est un peu l’histoire de Macbeth, propagée et bénie par son spectre séculaire.
Le comité des Onze est l’histoire tragique et bouffonne d’un élan de liberté transmué en tyrannie, l’histoire des hommes assez banale dans le fond, l’histoire d’un Macbeth à onze têtes dont chacune voudrait régner à la place de l’autre et dont la survie de chacune dépend aussi de chaque autre tête.
Pierre Michon, Les Onze, éditions Verdier, 137 pages, 14€.
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