Château de Lunéville, la pierre rejetée des [re]bâtisseurs 1/2

/><b><span/En saisissant son calame pour rédiger les versets du psaume CXVII, le bon roi David ne se doutait probablement pas que sa formule pût, un jour aussi, recouvrir de criantes réalités relatives cette fois aux temples bâtis de mains d’homme, à l’instar de la chapelle palatine des ducs de Lorraine au château de Lunéville.

Ce sanctuaire, édifié au moment de la première reconstruction du palais à partir de 1719, imite parfaitement la chapelle royale de Versailles dans la noblesse de sa pierre blanche travaillée sans fard formant une allée triomphale pour mieux conduire ses visiteurs vers la lumière et les introduire dans la véritable maison du Soleil.

Après avoir su franchir mille vicissitudes consécutives aux changements dynastiques, aux flammes, aux révolutions et aux guerres, une fois sa splendide restauration achevée, ce temple de la Grâce risque de perdre définitivement son âme.

En effet, depuis cet été, dans les jardins des Bosquets, sont dévoilés aux promeneurs les avant-projets relatifs à la restauration des intérieurs du château et de la chapelle. Des plans, des élévations et différentes coupes permettent de visualiser ces études et de prendre connaissance de la nouvelle affectation de ces espaces.

Pour la chapelle, les tracés présentés résument en cinq mots la prochaine destinée des 250 m2  qui forment sa superficie: « Conférences, musique, exposition, visite patrimoniale ».

Voilà, la messe est dite !

Ainsi, l’admirable vaisseau de pierre et sa crypte sont-ils réduits à devenir deux banales salles polyvalentes. Quelle admirable promotion !

Pourtant, la restauration (à présent achevée) du gros oeuvre conduite avec éclat par l’architecte en chef, M. Pierre-Yves Caillault, semblait préfigurer le respect de la vocation de cette partie du monument. En effet, par ses soins, ont non seulement été restituées les croix de Lorraine qui venaient autrefois couronner les deux clochetons de l’édifice mais également la croix latine plantée sur le faîte de la toiture, à la verticale de l’axe de l’autel.

Or, on le constatera, ni le plan, ni les coupes offertes à la curiosité des promeneurs ne font figurer la présence d’un autel dans les projets mis en chantier bien qu’ils restituent le gradin à deux degrés de l’autel qui se poursuit par une estrade en bois jusqu’au mur du chœur pour constituer une sorte de podium. Le plan montre en outre qu’il est prévu de paver d’un dallage de marbre noir et blanc le gradin de l’autel.

Rejetée par les re-bâtisseurs, la pierre angulaire de l’autel a donc été escamotée de la restauration de ce sanctuaire.

/><b><span/Mais, pour être plus exact, une telle situation est à déplorer depuis la fin des années soixante, lorsque la chapelle a été transformée en auditorium, sans ménagement pour l’état subsistant.
L’autel de marbre qui s’y trouvait est apparu aussi inutile qu’encombrant. Alors, sans autre forme de procès, il a été descellé puis relégué dans les sous-sols obscurs du château.

Tel qu’il apparaît sur une carte postale publiée en 1964, le maître-autel de la chapelle ducale est un autel de marbre en forme de tombeau adossé à une haute prédelle également de marbre dont, à l’avent, la partie centrale, saillante, devait être destinée à recevoir un tabernacle. Au centre de la façade galbée du tombeau, une croix rayonnante en marbre blanc est inscrite au milieu d’une bordure de même couleur qui épouse, en retrait, la forme de l’autel. Si l’on regarde plus en détail cet ancien cliché photographique, on remarquera également le crochet de fer qui servait depuis la voûte à suspendre la lampe de sanctuaire. Celle-ci figure sur le tableau, daté de 1735, peint par Claude Jacquard (1686 – 1736) représentant le mariage célébré dans la chapelle ducale le 22 décembre 1734, unissant Paul II Anton Fürst Esterhazy (1711 – 1762) à la jeune marquise Marie-Anne-Louise de Lunati-Visconti (1713-1782).

D’une forme classique, cet autel de pierre pourrait être celui d’origine s’il présentait une forme caractéristique apparentée à celle reproduite dans le tableau de Jacquard, permettant en l’absence d’un tabernacle surélevé, d’aligner à horizontale sur un même plan les sept éléments qui composent la garniture (six chandeliers placés de part et d’autre du crucifix). Dans ce cas, la porte du tabernacle aurait été intégrée dans la hauteur de la prédelle, ce qui ne semble pas le cas sur le modèle subsistant aujourd’hui dans les caves du château. En effet, le cliché photographique que nous verrons plus bas montre le piédouche qui surplombait le tabernacle pour soutenir la croix d’autel. Sa présence atteste donc une position surélevée de la réserve eucharistique, placée au-dessus de la prédelle ainsi qu’on la rencontre ordinairement dans les réalisations du marbrier Pierre Lonnoy (par exemple dans l’ancienne chapelle de la Visitation à Nancy, actuellement rattachée au lycée Henri Poincarré).

Ce maître-autel en marbre démonté vers 1970 remplace donc probablement une construction antérieure et, plus certainement encore, primitive. Sa récupération puis son installation remontent sans doute à l’époque de la Restauration lorsqu’on voulut effacer les conséquences du vandalisme révolutionnaire puisque la chapelle ducale servit à cette époque de lieu de réunion aux Sans-culottes de la ville.

Ce monument s’apparente de près à la production du marbrier Pierre Lonnoy, natif de Charleville-Mézières, qui a fourni durant sa période d’activité (seconde moitié du XVIIIe siècle) à nombre de paroisses, de couvents et aux trois cathédrales lorraines des autels de marbre taillés dans des pierres provenant de carrières belges. « En un demi-siècle, précisent Me Marie-France Jacops et M. Didier Hemmert dans leur étude publiée dans la revue du Pays lorrain (n°89 de septembre 2008), tout l’espace lorrain se couvre de monuments sortis des ateliers de Lonnoy ». Dans leur conclusion, ces auteurs rappellent que la Conservation des Antiquités et Objets d’Art de Meurthe-et-Moselle, sensible à la qualité du travail de Lonnoy a classé au titre des Monuments historiques plusieurs de ces autels sans savoir, pour autant, s’ils étaient attribués à ce marbrier.

Séquences d’un saccage inutile.

Après le malheureux incendie de 2003, la conservatrice de l’époque eut l’heureuse idée d’entreprendre une véritable campagne de fouilles dans la zone sinistrée. Ainsi des milliers de tessons, et bien d’autres vestiges ont pu être retrouvés, inventoriés et classés. Parallèlement un récolement général des œuvres subsistantes a été entrepris.

/><b><span/Un seul vestige est resté délaissé, comme si sa présence incongrue profanait le nouveau sanctuaire muséal que l’on s’apprêtait à reconstituer. En août 2008, ses débris gisaient toujours dans l’un des sous-sols dans une singulière indifférence générale. L’ancien maître-autel de la chapelle, misérable épave des vieux temps de superstition – précaution narrative attribuée à Lenoir- , se désagrège lentement et, n’intéressant personne, risque de finir bientôt dans une décharge.

Comment comprendre un tel abandon, comment admettre que cet autel ancien dont les proportions s’intégraient si étroitement avec le volume du chœur et du presbytère ne soit pas remis à sa place et classé au titre des Monuments historiques comme ses semblables ?

La pierre rejetée par les re-bâtisseurs est pourtant la clé de voûte qui donnerait un sens à la restauration de la chapelle ducale.

A chapelle royale de Versailles, dans celle des Cordeliers à Nancy, les autels n’ont pas été retirés. Les visiteurs découvrent avec intérêt ces anciens lieux de culte qui constituent finalement l’âme d’un site ou d’un monument.

Pierre Lemoine, l’un des grands conservateurs de Versailles, avait l’habitude de faire remarquer que la chapelle royale était de tout le château le seul lieu qui poursuivait dans le temps la fonction que la volonté de Louis XIV lui avait assignée. Il complétait son propos en ajoutant que cette continuité donnait vie à l’ensemble des espaces dont ses prédécesseurs,  lui-même et ses successeurs avaient / ou un jour auraient / la charge, comme si cette pérennité dans une vocation éloignée de tout mercantilisme et de toute récupération était le gage de l’authenticité que les visiteurs voulaient retrouver dans leur découverte du palais du Roi-Soleil.

Qu’on ne nous oppose pas non plus l’exiguïté des lieux. Le château de Lunéville est suffisamment vaste pour abriter ailleurs des salles d’exposition ou de conférence.

Tel est l’enjeu que représentent ces tristes débris de marbre gisant par terre, dans la poussière, abandonnés dans les caves voûtées du château de Lunéville.

(à suivre : Le travail de Pierre Chanel)

1 Comment

  1. Bonjours,

    « L’ancien maître-autel de la chapelle, misérable épave des vieux temps de superstition – précaution narrative attribuée à Lenoir- , se désagrège lentement et, n’intéressant personne, risque de finir bientôt dans une décharge. »

    Bien que l’article ne soit pas très ancien, qu’en est il a cette date ? l’autel est il toujours a l’abandon ?

    Je comprend particulièrement la nécessité de réutilisation du patrimoine quitte a sacrifier une chapelle a une utilisation plus « païenne » si tel est le prix d’une conservation bien gérée. Mais je ne comprend pas qu’un tel « objet » ne trouve pas sa place autre part afin de retracer l’histoire qui reste pour moi le « nerf de la guerre » de notre identité.

    A noter, a propos de la réutilisation, (sentiment personnel), que si un plan de réutilisation pérenne du château de Lunéville avait été mené bien plus tôt, il aurait été prévisible qu’une mise aux normes de l’équipement électrique aurait peut être épargné l’embrasement de celui ci. Espérons que les sommes investies sur ces dernières années, le soient comme un investissement vers le futur de la ville et la région et pas comme une « sparadrap sur une écorchure ».

    Cordialement.

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