X roman impromptu

Depuis longtemps, hélas, la France connaît de nombreux entre-deux-guerres… Les esprits les moins chagrins, dont nous sommes, dirons que ces périodes sont propices à la détente et à la légèreté. Le poids des deuils nationaux a besoin de cette soupape de décompression.

X roman impromptuL’après-guerre de 1870 va connaître cette envolée « déconneuse » par le biais de ses journaux satiriques… illustrateurs, graveurs, pamphlétaires, romanciers vont s’en donner à cœur joie… Les artistes et journalistes de tout poil se répandent dans les pires facilités, mais les plus brillants font preuve de brio ! C’est le cas d’une bande de « drôles », de cinq gaillards réunis comme les doigts d’une main baladeuse… pour accoucher d’un ouvrage un peu spécial. Les temps sont durs, les vaches sont maigres mais les ambitions de réussite sont bien là. Tristan Bernard, Pierre Veber, Georges Courteline, Jules Renard et Georges Auriol vont s’acoquiner autour d’un curieux roman qu’ils nommeront, X, roman impromptu.
Il est paradoxal, mais passionnant, de constater qu’en cette époque où l’“esprit français”, dans ce qu’il a de meilleur et de pire, règne partout, chacun d’entre eux l’incarne d’une façon différente. Mais qu’aussi tous le dépassent. Tristan Bernard et Pierre Veber connaissent l’humour anglo-saxon, mais aussi l’humour juif (il n’existe pas encore cet “humour juif anglo-saxon” venu de New York, comme aujourd’hui). Georges Auriol, Veber et Courteline sont plus dans la tradition. Bernard, Courteline, Auriol et Renard sont parmi les meilleurs représentants — il manque juste Alphonse Allais — de cet humour vache qui est celui qui a le moins vieilli de cette époque.

Tous sont des experts dans la formule qui tue, le gag en une petite phrase, le jeu de mots dont on ne se remet pas. Bientôt vont régner ceux qu’on appellera les “Quatre mousquetaires de l’Humour”, dont deux (Bernard, Renard) sont là, un autre non (Alfred Capus), et le dernier ne s’exprime pas par la plume (Lucien Guitry, père de l’autre).

Le roman indiqué, “impromptu”, c’est-à-dire entièrement improvisé, sans plan préalable et sans concertation entre auteurs. L’idée en revient à Pierre Veber. Une fois son idée acceptée par ses amis, il fut procédé à un tirage au sort entre eux, pour déterminer l’ordre des auteurs des différents chapitres, chacun en écrivant un à son tour en reprenant l’histoire où son prédécesseur l’avait laissée… en principe. Ce n’est que vers la fin que l’ordre fut inversé, histoire de changer un peu.

Le résultat parut d’abord en feuilleton, dans le Gil Blas illustré, en trente épisodes, du 4 avril au 31 mai 1894. Rapidement les auteurs, peu d’accords sur l’histoire globale — en avaient-ils simplement discuté un jour ?… — ni ne possédant la même vision d’ensemble du roman, se perdirent dans les méandres de l’intrigue et des différents personnages secondaires, voire même le principal, le capitaine. Jules Renard, le plus rigoureux, voulut retourner à l’essentiel : “C’est le héros de notre roman”, est-il obligé de réaffirmer en cours de route. C’est seulement au chapitre XII que Pierre Veber se mit en devoir d’expliquer tout, en trouvant habilement des liens, là où il n’y en avait pas, entre tous les personnages dispersés.

Les auteurs sont alors à l’aube de leur carrière. Seul Jules Renard avait déjà publié quelques chefs-d’œuvre, et Georges Courteline, ses premiers recueils. Les autres ? Ils balbutiaient. Le livre sera publié quelques mois plus tard chez Flammarion dans la collection « auteurs gais »… tout un programme.

La carrière du livre ne sera ni retentissante, ni trébuchante… Une nouvelle guerre, dite mondiale, allait réapprendre au genre humain que la gaudriole était passée… Puis d’autres eaux coulèrent sous d’autres ponts… Puis d’autres zoos montrèrent d’autres animaux…

Jusqu’à l’arrivée du Léopard Masqué, félin déterminé à remonter le niveau zygomatique de la France morose.

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