Les Bonnes

/Quand le monde du spectacle s’empare de l’envers du décor, cela donne « Les Bonnes » de Jean Genet ou « Les femmes du 6ème étage ».
Deux manières d’envisager l’univers des domestiques, une espèce en voie de disparition : du drame théâtral à la comédie de moeurs enjouée.

Les Bonnes est la pièce la plus jouée de Jean Genet. Un huis-clos féminin sur le mal-être et la relation du dominé et du dominant. Aux antipodes de cette lecture noire du féminin, la comédie de moeurs « Les femmes du sixième étage » choisit le thème de la domesticité pour traduire la joie de vivre.
La question profonde est celle du « choisi » et du « subi ». Certaines femmes acceptent leur condition et, partant, se révèlent maîtresses de leur destin, d’autres portent leur condition modeste dans la rancoeur et la frustration.

L’univers carcéral le plus impitoyable est bien celui du psychisme. Jean Genet le malandrin le sait bien, lui qui connut plusieurs fois la prison pour des forfaits en tous genres et l’hôpital psychiatrique pour une fragilité remontant à la blessure d’abandon de sa mère lorsqu’il n’était encore qu’un bébé.

Jean Genet transcende un fait divers réel qui fascina les auteurs surréalistes : le crime des soeurs Papin, employées dans une famille du Mans. En 1933, Christine et Léa Papin, âgées de 28 et 21 ans,  assassinent leurs patronnes, avec une rare sauvagerie. Puis, elles lavent les armes du crime, se lavent elles-mêmes et se couchent dans le même lit – les deux soeurs s’aimaient d’un amour incestueux.
En 1947, dans Les Bonnes, Genet ne s’intéresse pas au versant sanglant du meurtre, non plus qu’il n’en dresse une satire sociale. Dans l’atmosphère confiné de l’intérieur bourgeois de « Madame », il donne naissance à un jeu cérébral qui joue avec les mythes et débouche sur  la tragédie.
En une manière de rite païen – symbolisé par une statue chimérique aux attributs féminins frisant l’obscène – , les Bonnes ne peuvent tuer Madame et s’autodétruisent à petit feu.
Finalement classique, Genet respecte les règles de la tragédie : point de crime sanglant. Madame ne peut périr que par le poison ou la strangulation.

/Guillaume Clayssen a pris le parti de l’outrance dans la mise en scène. Du kitch et une modernité à bout de souffle qui consiste à déshabiller un comédien sur la scène…

Les bonnes, logées et nourries dans les familles sont en voie d’extinction, elles sont remplacée par des femmes de ménage envoyées par des agences, et parfois par de véritables esclaves auxquelles les habitants des beaux quartiers retirent jusqu’à leurs papiers.
Que sont nos gentilles petites bonnes devenues ? Celles que croquait si bien Sylvie Jolie, qui « saisissaient au vol ces répliques étincelantes » en faisant le service. « C’était pas de la culture ça ? ». Aujourd’hui, comme le disent les petites vieilles de Sylvie Jolie : « elles n’ont plus voulu de nos chambres ? Eh, bien nous les avons reprises, et nous en avons fait des appartements mimi-pinsons que nous louons à des petits étudiants charmants ». À prix d’or, bien sûr… Autres temps, autres moeurs.

Quand la bonne, espèce en voie de disparition, entre au royaume des mythes.

Les Bonnes
Comédie dramatique de Jean Genet
Mise en scène de Guillaume Clayssen
, avec Aurélia Arto, Flore Lefebvre des Noëttes et Anne Le Guernec.
Théâtre l’Étoile du Nord
Jusqu’au 16 avril

À voir au cinéma : Les Femmes du sixième étage, de Philippe Le Guay, avec Fabrice Lucchini, Sandrine Kiberlain.

Photos : Eric Heinrich.


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