Las Vegas-sur-Seine

/Elles étaient promises plus belles encore et plus spectaculaires que par le passé, les illuminations des Champs-Elysées lancées par Bertrand Delanöe, le 23 novembre 2011, à 18 heures 30 précises !

Trois anneaux de lumière, aux tonalités chromatiques variant du bleu fluo au violet, disposés au pied de chacun des arbres scandant la « plus belle avenue du monde » (il ne faut vraiment pas avoir beaucoup voyagé pour reprendre un tel poncif !), et dont les feux se reflètent dans des médaillons de miroir suspendus aux branches, émerveilleront Parisiens et touristes à chaque Noël jusqu’en 2015.

Il faut espérer que non tant ce choix résolument contemporain plombe finalement la majesté de l’avenue en se détournant ostensiblement de la dimension verticale et ascensionnelle de celle-ci puisque l’éclairage se focalise essentiellement sur le sol. Cette grande allée bariolée d’un spectre lumineux tapageur semble ainsi dévaler une pente douce pour aboutir à la traditionnelle grande roue qui occupe tout le vide de la perspective.

Peu importe finalement que les audacieux critères retenus par notre divin maire s’éloignent  des atmosphères par trop ringardes, entretenues dans les autres capitales européennes, avec les incontournables sapins, la neige artificielle, les milliers petites lumières scintillantes mariant la couleur rouge avec celle du vert.

Avant-gardiste, Las Vegas-sur-Seine doit s’affranchir de toute connotation avec le démodé 25 décembre sinon pour tolérer tout de même le maintien de la présence du père Noël dont le mythe confine si bien avec les intérêts économiques les plus rapaces.

Il faut du reste entendre sur TF1 les propos de cette mère de famille de trois enfants qui estime devoir dépenser une somme incompressible de 450 euros pour l’achat de cadeaux de Noël, puisqu’elle ne saurait se résoudre à être privée de la joie que lui procure l’émerveillement de sa progéniture en découvrant consoles de jeu et autres fariboles sous le sapin.

C’est vrai que ce moment de l’année était TERRIBLE, dans les années 60-70 et plus encore auparavant. Qu’on se rappelle de la morosité des gamins et l’accablement de leurs pauvres parents lorsque toute la famille réunie découvrait devant la cheminée (quand elle existait) une poupée, une dinette, un camion ou un chemin de fer et… plus loin dans ces temps reculés, une simple orange ! Spectacle insupportable favorisant suicides et déprimes qui se comptaient par millier dès le 26 décembre !

Intronisé saint patron du consumérisme, le père Noël est devenu celui du surendettement, des vols à l’étalage, à l’arrachée et finalement le responsable d’une partie de la crise que les ménages eux-mêmes s’infligent dans une totale insouciance.

Davantage, ce phénomène révèle une profonde évolution remarquablement dépeinte par Chantal Delsol dans son dernier ouvrage publié aux éditions du Cerf, L’âge du renoncement.

Sous l’influence de Platon autant que de Moïse, durant 2500 ans, pour se construire, l’Occident a donné priorité à la recherche du « Vrai » et du « Juste »  alors que depuis mai 68 l’individu, pour « bien vivre », est à la recherche du « bonheur », c’est à dire de la satisfaction de ses propres désirs, voire de ses propres instincts.

Dès lors, fi des vérités objectives ; seul le subjectif est supportable.

En conséquence d’un pareil hédonisme, non seulement tout est devenu l’égal de tout, sans hiérarchie, sans références supérieures d’ordre moral (surtout pas), mais la société est entrée irrésistiblement dans l’âge du renoncement à ses propres acquis forgés si lentement et si difficilement au long des siècles, pour préférer l’irrationnel et donner cours prioritairement aux mythes les plus invraisemblables.

Avec ses strass et ses paillettes, Las Vegas-sur-Seine de Bertrand Delanöe offre une belle illustration de cette inquiétante métamorphose :

Le sacro-saint mythe du père Noël s’est tellement imposé dans les consciences asphyxiées dans leur consentement qu’il efface désormais la substance même du 25 décembre, devenu fête de la grande bouffe et de la surconsommation. Si le vieillard champion de la firme Coca Cola étale partout sa figure joviale, et, en l’espèce, sur un grand écran, la crèche n’a plus droit de cité.

Très respectueux de la laïcité, le divin maire qui n’est jamais à une contradiction ou à un mensonge prêt – comme tout personnage politique, il a fait sien l’adage bien connu « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ! » et qui considère probablement que la généralisation de la fête de l’aïd el-fitr a été ignominieusement stoppée par la défaite d’Abd El Raman en 732 pour devoir en raviver la noble tradition en l’organisant désormais dans les salons de son hôtel de ville, notre divin maire donc voit rouge si on lui propose de placer la figure monstrueuse du petit Jésus dans l’espace public.

Mais une telle dichotomie relève sans doute moins de son éventuelle aversion à toute référence religieuse d’origine chrétienne que d’une préférence désormais instinctive et irrationnelle dans la propension du « renoncement » envers toute notion d’objectivité ou envers tout fondement réel de l’identité occidentale. La naissance pourtant historique de Jésus doit être cantonnée dans la seule sphère privée, c’est à dire dans le domaine purement subjectif quant à l’avènement de papa Noël, malgré ses compromissions mercantiles, il est élevé à la dignité d’un dogme irréfragable.

Dans le contexte culturel actuel et celui de l’émoi que l’actualité vient de susciter dans les médias et dans la rue, le divin maire a finalement fait droit à la demande de la paroisse de Saint-Pierre de Chaillot en autorisant l’installation d’une crèche au milieu du marché de Noël aménagé au bas des Champs-Elysées. Mais, dans son auguste sagesse, il a tenu à préciser qu’en aucune manière « l’installation » ne devait revêtir un caractère religieux. L’illustre édile de la « plus belle capitale du monde » aurait sans doute succombé sous le coup d’une brutale commotion s’il s’était rendu à Epinal, par exemple, le soir du 3 décembre dernier où son homologue remettait, sans état d’âme et comme chaque année depuis des lustres, à saint Nicolas les clés de la ville !

Toutefois, même avec sa barbe fleurie, notre bonhomme rouge et blanc a bien du souci à se faire : les lumières fluorescentes des Champs-Elysées tout d’abord n’annoncent rien de bon qui vaille :

Sous de telles augures, les boutiques du marché de Noël pourraient bientôt se convertir en stands d’attractions pétaradantes (on voit déjà quelques timides manèges) dans lesquelles, comme à Las Vegas, l’argent pourrait brasser encore plus de pièces sonnantes et trébuchantes afin de mieux tourner le dos aux vieilles lunes de la nuit du 25 décembre.

Mais il se pourrait bien, enfin, qu’une menace plus grave ne bouscule notre vieillard goguenard. La crise financière permettra peut-être de redécouvrir les joies simples de Noël et  de constater que les yeux des enfants n’ont nul besoin d’un amas de cadeaux dispendieux pour savoir s’émerveiller

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