Par Christine Sourgins*
« Breughel, le moulin et la croix »; retour sur un film qui ne tourne pas très rond !
Se promener dans un tableau, camera en main, voilà la gageure que voulait relever Lech Majewski en scrutant « Le Portement de croix » de Breughel l’ancien, chef d’œuvre de 1564, conservé à Vienne : au premier plan une Vierge douloureuse, puis, perdu dans une foule de 500 personnages, le Christ entouré de rouges gendarmes, le tout dominé par un improbable Moulin perché sur un rocher.
L’ambition est élevée : réfléchir à la suite de Breughel sur ce Pain du ciel moulu par un céleste moulin (mise en décor impressionnante) qui n’est autre que ce Pain vivant, le Christ broyé par la vindicte humaine lors de la Passion. D’un premier abord, l’esthétique du film est superbe, grands plans d’ensemble, costumes somptueux, bons comédiens. Maigres dialogues mais pour laisser parler l’image. Jusqu’à la mise à mort d’un jeune homme par les rouges mercenaires à la solde des espagnols, le film marche effectivement au rythme du tableau. On comprend bien la parabole visuelle : le Christ se continue en tout innocent persécuté et le plus important est dérobé au regard de la foule. Que le cinéma l’explicite, bravo ! Mais dire que « le Christ est au centre de la toile comme une araignée » est une métaphore plus discutable car l’araignée est prédatrice et le Christ, au contraire, victime.
Puis l’historien aperçoit des détails qui grincent : les bicornes des bourreaux ne sont apparus que sous Louis XV…Marie-Charlotte Rampling porte une coiffe plus une guimpe (or c’est l’une ou l’autre). Mais surtout : Breughel dessine …avec des gants ! Certes chic et beaux, ces gants de peaux, mais la Flandre n’est tout de même pas la Laponie. Ce n’est pas une bévue accidentelle car le cinéaste persiste et signe : Breughel tient dans la main un fusain tandis que son esquisse est une mine de plomb !
Après tant d’années à dénigrer la peinture, à prendre ses distances avec cette activité salissante, voilà qu’un cinéaste prend lui aussi des gants pour parler d’un tableau ! Son Breughel (au costume aussi impeccable que le costard de trader de Koons ) ne s’abaisse pas à peindre : il dessine, compose, raisonne. Mais jamais n’entrera dans le vif de la peinture, c’est-à-dire dans le vif du sujet !
Ce refus à un prix : faute de continuer avec le passage à la peinture, le film est condamné à se répéter, il bégaye en montrant cette fois la mise à mort du Christ par les occupants de la Flandre. On imagine mal un tel comportement, sacrilège dans le clan espagnol. Le cinéaste en réalisant lourdement ce qui était une métaphore subtile chez Breughel en arrive donc à prendre le tableau à contre sens : le portement de croix se fait parodie, ce n’était pas l’intention de Breughel !
Mais il est des ratages qui font sens.
On sort édifié : le Père Breughel avec ses pinceaux et ses chiffons reste indépassable ; toutes les images de synthèse ne remplaceront pas une vraie peinture. Rien que pour cela, et pour le plaisir de l’œil, on devrait quand même aller voir « Breughel, le moulin et la croix » .
N.B . Merci à Agnès E. pour ses remarques de professionnelle du costume et du cinéma.
* Historienne de l’art, Christine Sourgins connaît bien les musées pour y avoir travaillé, les artistes et le grand public par son engagement dans les
structures associatives.
Son parcours lui a procuré un poste d’observation de la vie artistique en France, ainsi qu’une indépendance de pensée et d’expression.
Elle a publié de nombreux articles et un ouvrage de référence :
Les mirages de l’Art contemporain, La Table Ronde, (2005), actuellement 4ème édition.
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