Ce beau et gros livre dirigé par Jacques Le Goff, l’éminent et incontestable spécialiste du Moyen Age et que publient les éditions Flammarion, réunit 112 portraits d’hommes et de femmes, ayant vécu au cours des onze siècles qui forment le Moyen-Âge, c’est-à-dire entre le quatrième et le quinzième siècle. Chacun à sa façon, ces personnages ont forgé cette époque admirable et bien éloignée de l’image d’Epinal que nous en avons souvent.
Personnages imaginaires tels Arthur, Mélusine, Robin des Bois ou Satan, ou encore personnages réels mais parfois méconnus tant l’histoire et les légendes ont réécrit et transformé bien des vies réelles, ces courts portraits d’une à deux pages, richement illustrés donnent un large aperçu de la richesse de cette époque qui, loin d’être noire, obscurantiste et stupide, fut par maints aspects glorieuse, lumineuse, artistique et intellectuelle. Prenons deux brefs exemples, celui d’Abélard et Héloïse puis de Suger, qui vécurent à la même époque, sous le règne important de Louis VI le Gros, un des grands fondateurs de la royauté capétienne au début du XIIe siècle qui peut être considéré comme le début de l’âge d’or de l’époque médiévale.
« Célèbre pour les vicissitudes de sa vie, Abélard doit surtout rester comme l’un des grands intellectuels de son temps – dialecticien, logicien et philosophe du langage, comme l’a dit Jean Jolivet. Son célèbre sic et non a fondé une éthique historique des textes sur l’opposition entre une affirmation théologique et son contraire. Dans son éthique, il a proposé une nouvelle conception du péché fondée sur l’intention. Il a écrit un étonnant « dialogue » entre un philosophe, un juif et un chrétien, qui peut être considéré comme le premier essai de dialogue interculturel.
Abélard a été le premier intellectuel moderne et le plus fascinant des maîtres ; il a pratiqué la prise de parole et s’est toujours référé aux textes et à la raison ; il a uni la recherche, la réflexion personnelle et l’enseignement. De même, l’amour d’Abélard et Héloïse a été le premier exemple de l’amour moderne. Amour fou, qui a fait refuser à Héloïse le mariage, prétextant qu’il aurait empêché la carrière intellectuelle d’Abélard, écrit Jacques Le Goff. »
Puis, au sujet de Suger, ce même commence ainsi sa notice biographique : « De modeste naissance, ce qui fit de lui l’objet de railleries, Suger est la preuve qu’un homme modeste peut, au XIIe siècle, devenir un personnage influent, grâce à deux atouts. Le premier, un statut important de clerc, le second, le service éclairé d’une monarchie en train d’affirmer son pouvoir. » Bien loin d’être une société de castes hermétiques, la monarchie qui établissait son pouvoir et forgeait ses institutions a ainsi permis à de modestes gens comme Abélard et Suger d’enseigner pour l’un à l’École Notre-Dame de Paris, pour l’autre au dauphin de Louis VI, le futur Louis VII qui le garda ensuite près de lui, et ainsi d’atteindre à la postérité, notamment dans certains vitraux de la basilique de Saint-Denis, tandis que tous nous connaissons les fameux vers de Villon (d’ailleurs oublié dans ce livre) mis en chanson par Brassens à une époque pas si lointaine :
Ou est la tres sage Helloïs,
Pour qui chastré fut et puis moyne,
Pierre Esbaillart a Saint-Denis ?
Pour son amour ot ceste essoyne.
Semblablement, ou est la royne,
Qui commanda que Buridan
Fust geté en ung sac en Saine ?
Mais ou sont les neiges d’antan ?
Hommes et femmes du Moyen Age, sous la direction de Jacques Le Goff, 445 pages, Flammarion.
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