Les Voix d’outre-tombe. Tables tournantes, spiritisme et société au XIXe siècle

/Au commencement était le doute.
Le doute quant au livre de Guillaume Cuchet, normalien historien brillant, membre de l’Université de France. Qu’est-ce que fait ce bel esprit dans cette galère, tandis que spirites, parapsychologues et autres médiums sont persona non grata dans l’université de notre pays ? C’est simple : Guillaume Cuchet fait son travail d’historien avec ce livre, plein de science et d’érudition.

Ensuite vint la surprise : malgré ses allures hermétiques, ce travail se lit très bien. Nul besoin d’endosser les habits de l’éminent chercheur pour s’y frotter. Cuchet n’est pas spirite, mais historien : il prend le spiritisme non comme une religion (ce qu’il reste aux yeux de ses défenseurs) mais comme objet de son enquête rigoureuse et prudente.
Puis vint la satisfaction : celle de tenir entre les mains un ouvrage remarquable sur l’histoire du spiritisme, clair, dense, synthétique et néanmoins savant. Réellement savant car jamais pédant.

En 457 pages, Cuchet explique la genèse nord-américaine du spiritisme, sa diffusion européenne puis son déclin, lent et relatif, comme en France. Historien sérieux et compétent, il replace ce phénomène dans le contexte du XIXe siècle. Sous sa plume, le spiritisme n’est pas une création ex nihilo, mais la conséquence et l’aboutissement de courants intellectuels, religieux et politiques.

Sa thèse est limpide : le spiritisme est un nouveau système religieux, révélateur du siècle de la Révolution industrielle, fait de bouleversements idéologiques et d’instabilité sociétale (naissance du rationalisme, fractures entre églises et États, etc).
Deux parties méritent à elles seules de plonger à pieds joints dans ce livre : la « doctrine spirite » – Kardec, son œuvre et sa réception y sont analysés en maître – et le « spiritisme culturel » avec ses chapitres sur les « accents spirites de la piété catholique » , « l’astronomie populaires et les représentations de l’au-delà » (Camille Flammarion est enfin mis à sa vraie place) ; le chapitre « Spiritisme et deuil romantique (p. 312-352) interroge le lecteur sur une éventuelle « mutation du rapport aux morts », pages grâce auxquelles l’auteur met ses pas dans ceux d’illustres historiens de la mort (Ariès, Chaunu, Vovelle, etc.).
Appareil technique et bibliographie feront pâlir nombre d’étudiants et d’essayistes de tout poil. Au final, ce livre est à ce jour pionnier quant à l’histoire savante du spiritisme.

Bien sûr, Cuchet a des prédécesseurs (Edelman, Ladous, Laplantine…). Mais, selon votre serviteur, il est le premier à réussir cette mise en perspective du spiritisme et société. Cuchet s’interroge moins sur l’efficacité du spiritisme que sur sa portée culturelle.
Le spiritisme n’est-il pas l’amorce du conflit entre supporters de la disparition irrémédiable du Moi après la mort – impossibilité de survie sans support cérébral – et aficionados d’une continuité post-mortem – réalité d’une conscience sans substrat organique ?

L’auteur a raison : le spiritisme, loin d’être une mode, est un positionnement philosophico-religieux en forme de réponse aux philosophies matérialistes : une fenêtre ouverte sur l’invisible.

Guillaume Cuchet, Les Voix d’outre-tombe. Tables tournantes, spiritisme et société au XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 2012, 25 euros.

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