Houellebecq : Configuration du dernier rivage

/Michel Houellebecq revient à ses premières amours et publie un petit recueil de poèmes, trois ans après sa dernière publication qui reçut le prix Goncourt.
Peu d’auteurs, de nos jours, savent se faire rares comme lui, et pourtant nombreux sont ceux qui devraient l’imiter.

Une chanteuse de talent, à tort méconnue et qui n’aura laissé qu’un seul disque, a mis en musique voici quelques années un poème de Houellebecq extrait de La poursuite du bonheur, publié en 1997 : « Est-il vrai qu’en un lieu au-delà de la mort ». C’était beau et désespéré comme certains poèmes de Baudelaire. Alors, on peut se dire que Configuration du dernier rivage déçoit un peu quand on a le souvenir des premiers recueils de poésie de Houellebecq.

Mais ce serait sans doute injuste et peut-être hâtif. Comme pour La carte et le territoire, on ne sait plus bien tout d’abord que penser. Car si l’auteur énerve, parfois, il faut juger son œuvre. Et l’on ne peut nier que brillent dans Configuration du dernier rivage quelques pépites de ce style inimitable et de ce propos cynique qui ont fait de l’auteur d’Extension du domaine de la lutte un des plus originaux de son époque (quoique l’on pense de sa « morale » et de sa vision pessimiste du monde humain).
On peut aimer dans certains alexandrins la structure ternaire héritée d’Hugo qui, chez Houellebecq, fait immédiatement songer à des couplets de chanson, « Le soir descend, porteur de paix et d’amertume …»

On peut aimer cette façon qu’il a de ne pas renouveler les formes poétiques (Houellebecq, Aurélien Bellanger l’a bien montré, est un écrivain romantique, direct héritier du XIXe siècle, largement influencé par Comte et le positivisme, par Balzac qu’il cite souvent, et la littérature du XIXe siècle), d’en garder la structure et les règles sans se soucier de paraître retarder d’un siècle car Houellebecq ne serait pas Houellebecq s’il ne contournait le carcan de l’octosyllabe et de l’alexandrin en désacralisant des rythmes que l’on associe d’emblée à Racine ou Hugo par des tirades un peu moins héroïques « J’ai pour seul compagnon un compteur électrique »

On peut aimer aussi ces sortes de haïkus :

« Tu te cherches un sex-friend,
Vieille cougar fatiguée
You’re approaching the end

Vieil
oiseau mazouté. »

Et :

«  Tu te crois séduisante
Avec ta jupe en skaï
Et tu fais la méchante

Comme dans une pub Kookaï.
»

Mais il y a aussi plus profond que ces petits vers méchants. Il y a…

« Quand on ne bande plus, tout perd peu à peu de son importance ;
Tout devient peu à peu optionnel.
Demeure un vide orné, empuanti de plaies et de souffrances
Qui affligent le corps. Un monde est d’un seul coup plus réel.

(Les nains érubescents surgissent
Dans le trou vert entre les cuisses
Des créatures appelées « femmes » ;
C’est la reproduction du drame.)

Que nous vaut la disparition des prismes ?
Les choses s’organisent et se configurent
Dans leur simplicité latérale

Et ce n’est pas la diversité organique,
Ni les vicissitudes de l’orgasme
Ni la brutalité du spasme
Qui pourront altérer l’achèvement technique.
»

Et des poèmes d’amour, simples et délicieux :

« La nuit est là, mon bel amour,
Douce et très pure ;
Je vis depuis le point du jour
Une torture.

Ton bracelet luit doucement
Contre ma peau,
Les larmes coulent lentement
De mes yeux clos.

Mon corps souffrant et las se brise
Loin de tes yeux.
Je pense à toi, gentille Lise ;
Je suis heureux.
»

Peut-être, diront certains, est-ce trop simple pour être l’œuvre d’un grand auteur et pourtant quoi de plus simple aussi, en apparence qu’un poème de Beckett, quoi de plus simple parfois que le génie :

« elles viennent
autres et pareilles
avec chacune c’est autre et c’est pareil
avec chacune l’absence d’amour est autre
avec chacune l’absence d’amour est pareille
»

Alors sans doute le succès agace-t-il mais au bout du compte, il faut savoir rendre à Houellebecq ce qui revient à Houellebecq car nul autre que lui n’est capable d’écrire ainsi.

Michel Houellebecq, Configuration du dernier rivage, Flammarion, 100 pages.

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