En ce début de soirée, une projection au centre culturel de la Serbie, au cœur de Châtelet.
Ce qu’on ne sait pas encore, c’est qu’on y est rentré pour entendre des souvenirs de famille. Cette femme à l’âge élégant, c’est la fille de Svetozar Botoric. Cet homme grisonnant au regard vif et au sourire toujours jeune c’est son petit-fils.
De ce documentaire où trois générations se racontent, on retient un dispositif malin, tout comme ses protagonistes. Les plans sur les visages des familiers alternent avec des plans sur de vieux journaux, et de vieilles photos. La famille serbe a vécu la valse triste du XXème. Jamais de larmes inutiles, les Botoric sont des battants et aiment la vie plus que tout. Au rythme de la langue serbe, rien n’est tragique, tout est doux, malgré la brutalité du destin.
Svetozar le chef de famille était représentant de Pathé Frères en Serbie, et a tenu pendant longtemps un cinéma à Belgrade, tout en tournant lui-même des films que l’Histoire n’a déterré qu’en 2003. La famille Botorici, c’est un témoignage du temps passé. Et notamment une jolie manière de parler de cinéma : quelques anecdotes sur les conditions de projection de l’époque nous font sourire. C’était le début du « cinématographe », en Serbie. C’était folklorique, c’était sympathique.
Pourtant c’est aussi pour le réalisateur une manière de parler des rapports entre le cinéma et l’histoire, et l’homme, et la famille. À travers cette approche documentaire, Srdjan Knezevic souligne la façon dont cet art de capter la vie et le mouvement habite nos vies et nos mémoires ; ce documentaire a quelque chose de cinématographique dans son essence ; en mélangeant la réalité mobile du présent, et l’inertie photographique du passé, le film célèbre les noces merveilleuses du cinéma et de la photo, comme gardiens de la mémoire du XXème siècle et des siècles à venir.
Svetozar Botoric était aux dires de son arrière-petit-fils, présent le jour de la projection, un homme « soucieux d’élégance et de beauté ». D’où l’importance de la culture dans leur confiance en l’avenir. Le grand-père aimait le cinéma, sa fille qui raconte a aimé la musique : une carrière dans le piano hachée menue par le régime communiste, parce qu’il la jugeait trop bourgeoise.
L’élégance et la beauté ! Voilà exactement les qualités du documentaire qu’en a fait Srdjan Knezevic. Une beauté sobre dans l’image, une concentration sur les visages ouverts des témoins, qui pour rien au monde ne sombrent dans le narcissisme. C’est la beauté de l’homme honnête, et humble face à son Histoire. C’est l’élégance dans les regards et dans les traits, dans les postures et les coiffures. L’élégance révolue d’une époque que nous avons perçue, chacun dans les souvenirs de nos ancêtres européens. Le documentaire dit quelque chose d’à la fois parfaitement singulier, et de parfaitement universel, tandis que les sourires espiègles s’épanouissent dans le noir et blanc des vieux clichés.
Marguerite Kloeckner
La Famille Botorici : documentaire réalisé par Srdjan Knezevic, durée : 60min, sorti en 2012.
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